Rentrer vite. La sonnerie, le tocsin, le gong, le bond. Rentrer vite.
Et partir. Ressortir. Les chaussures crantées avec entre les dents
la boue sèche de la dernière fois. L'usure des genoux et le vide
dans le jeans qui les laisse paraître. Le paraître. En sortir. La
veste et son tabac, le chapeau et sa vis, le collier et son chien, la
laisse en nœud en huit à la ceinture. La canne et sa propre boue.
La boue du jour, des jours de ces semaines. Celles qui se sont
ressemblées alors qu'elles n'auraient pas dû. Parait-il. Aller
piétiner la vraie boue, qui colle comme l'autre, mais sèche au
moins. S'éparpille en poussière sur le paillasson, et déborde
même. Elle déborde mais ne tâche plus.
C'est parti. Très vite l'obscurité descend. La promenade à
l'envers. Éviter les pleins phares, le frôlement, le renversement
en ligne droite. Finir par les lampadaires, les lumières
artificielles, les ombres artificielles. C'est engager. Déjà. Un
bon pas, toujours. C'est toujours un bon pas, mais encore
désorganisé. Il fait encore froid. Il fait encore boue. Le corps
cherche le tempo dans le son humide, presque moite des feuilles
empâtées sur le cavalier qui n'est plus rouge. C'est juste là, ça
déborde, comme qu'i dit.
Mauvais réflexe, l'appel de l'écran, les yeux sur la surbrillance
de l'écran qui indique la température : quatre degrés. D'ici
quelques heures, deux. Me dis que je suis en train de tout rater,
encore. Me retrouve encore en surbrillance, en sous-brillance. Les
yeux se redressent mais ne perçoivent plus les moindres détails,
les détails moindres qui font la marche. Je ferme le clapet aux
pixels muets. Ne pas passer à côté. Être aux côtés. Ils
reviennent. La vue revient sur le monde tel qu'il est. Il fait froid
encore. Je me concentre. Le rythme revient, le froid part dans le
cata-clop sourd des pas ponctués du bâton. Il n'y a personne, je ne
suis personne. Juste une partie du défilement des images.
Des phrases viennent comme des clichés sur le rythme auquel je ne
pense plus. Je n'ai plus besoin de penser. Elles seront passées, il
ne restera rien d'ici en rentrant. Rien, si peu à retranscrire. A
gauche l'eye-liner vert-de-gris pâle du ciel se referme sur la
terre. S'en revient la réflexion d'il y a quelques jours. Le couteau
et la truelle à la main. A boucher des trous, encore. Au moins une
fois par semestre ces dernières années. M'étais dit que ce devait
être cela, un peu, boucher des trous.
Ceux des autres, de leurs erreurs, les miennes, et mes erreurs, comme
je continuais et continuerai. Puis non. La pâte à joint ne fait pas
que réparer, combler, embellir. Elle construit, aussi, elle
finalise. Elle renforce. C'est cela, le couteau et la truelle. Des
outils pour rattraper, et pour avancer aussi.
Le couteau et la truelle, le fer et
la truelle. Deux organes qui associés à la tierce matière créent
le lien. Ce qui fait tenir. Comme j'avais fait tenir quelques causes
et conséquences. Comme si la jeunesse empêcher les vues d'ensemble.
Et la taxe de parano habituelle. Tu ne sais pas de quoi tu
causes petit. Tu es trop jeune. Mais non, t'imagines des trucs.
Ça fait déjà un moment que j'imagine. Mais que l'imagination est
bien prosaïque. Et je ne reviendrai pas avec le je l'avais
dit. Parce qu'il n'y a pas de
triomphe là-dedans. Juste un peu plus de désabus. C'est le
privilège de si bien connaître l'abandon. Le mépris. Tout le monde
n'a pas le même sensible dans les yeux.
L'accumulation, c'est comme des
énergies dans les deux sens, avec deux pôles. La pile négative est
pleine. Mais ça ne s'ôte pas comme ça. Suffit pas de lui mettre la
tête en bas pour la décharger. Mais elle peut aussi se vider au
couteau. S'appliquer. Il y a tant de choses qui s'appliquent bien à
faire chier. Y'a matière à. Toujours. Ce qui se monte avec deux
organes se démonte avec d'autres. Le lien, il se trouve où l'on
applique la matière. Et la matière, c'est ce qui tient. C'est ce
qui permet de tenir. Faire le lien, ce n'est pas forcément le plus
difficile. Le plus dur, c'est d'avoir la bonne matière.