lundi 31 décembre 2012

Consigné à disparaître





Tout ce qu'il y a eu, y aura, y a là. La même trace que le sélène de la lune. Qui laisse même moins que le souvenir. Avec un peu de temps, avec un peu de chance. Si l'on veut. Je le vois bien, c'est un peu comme mon père. Je le vois encore me tendre, presque gêné, ces petits classeurs où s'accumulent ces feuillets noirs et jaunes. Noirs dedans et jaunes autour. Plein de sensible, plein de son sensible. Que j'ai ouvert. Que je n'ai pas lu. Que mon fils ne lira pas. Pas plus qu'il ne me lira. Qu'il ne lira mes propres feuillets. Dactylographiés, classés, sériés, reliés. Classés. Hors. Pourtant je le ferai. Je lui tendrai aussi ces liasses, tout d'espoir et d'embarras. Comme je le fais déjà, alignés eux aussi sur des murs. Sur d'autres murs, virtuels, inconsistants, apparaissant dans le fond de quelques boites de quelques autres. En me demandant. En oubliant, comme eux, comme lui.
J'alignerai encore un peu quelques feuillets reliés, quelques liasses. Qui ne trouveront aucune bibliothèque. Car je ne tiendrai jamais la longueur. Car je ne tiens jamais la longueur. Pérennité. Parce que je veux éviter cette confrontation d'avec l'autre, d'avec moi-même, en soi. Cette confrontation esquissée dans les numéros, qui reste sans réponses. Cette confrontation esquivée, d'entendre silencieusement que l'intérieur ne trouve pas l'écho à se trouver dehors. Quelques feuillets qui trouveront eux aussi un mur, une boîte. Un temps. Car je ne tiens jamais la longueur. Je regarde en arrière. Je m'y arraisonne. Et je ne peux que constater.

On peut bien se rendre compte, qu'il y a une permanence de l'inéquation. C'en est des rencontres. On eut pu croire, à la magie des rencontres. J'aurai voulu croire. Elles se font, et à se faire, se défont. Fondent peu à peu. Mais ce n'est que ça, des instants. Comme de l'écriture. C'est pour cela que l'on accepte. Cette étrange grammaire. Et sa loi fluctuante du jeu. C'est pour cela que l'on accepte, qu'on joue tendu tantôt, à tâtons. A la recherche de la détente. De cette suspension. Ce n'est pas tant la rencontre en elle-même, qui est magique, ce sont ces instants inégaux, illégaux, subtilisés à l'égrenage de l'horloge. Un temps, un temps.
Il semble qu'il s'agisse d'une connexion impermanente de sens, mais imperméable de raison. Dont l'identification diffère selon l'acteur. Il reste un point commun, doucement irrationnel. La sensation. Une sorte de chimie interne transitant par le corps pour achever sa transfiguration dans l'esprit. C'est cela, une mutation impalpable des cellules dont le retour se fait sur la vision que l'on a de l'environnement. Sa préhension et son appréhension. Une sorte de curiosité instantanée qui se marque après, avec toute la difficulté de son expression.
Le magique tiendrait d'une impression. L'impression de soi dans un oubli, où la coque n'est plus sur la mer, mais partie intégrante de la mer. Où jusqu'à la cale il n'y a plus d'éléments cloisonnés, nommables, mais tout a un seul nom qui ne se prononce pas. Qui n'a pas besoin d'être prononcé. Chacun des contours n'en est plus un, solidaire d'un espace où tous les intérieurs se touchent sans extérieur. Un espace où l'être n'est plus ni dedans ni dehors, mais avec. Fugacement. Où l'ensemble fragile est presque solide, tangible dans son éphémère. Et c'est sa fin qui le réalise.
Après avoir tant battu la campagne, à présent je bas les pages. Elle me le rendent... Je me demande souvent si, si j'arrêtais d'écrire, serait-ce comme si je rendais les armes ? Rendais l'âme ? L'âme ainsi aurait besoin d'armes, alors... Est-ce pour cela qu'elle nécessite de se battre ? La possession est donc une bataille. La dépossession serait une victoire. Comme si c'était une guerre... Mais il y a bien une certaine violence, une violence en soi à vouloir nommer ce qui fuit, nommer ce magique insaisissable. La conquête impossible de ce qui est passé. La conquête égoïste de l'ailleurs, de l'autre qui parle en soi. Et son don dans le triomphe de soi. Avec ou sans bibliothèque. On n'a pas besoin de bibliothèque, pour disparaître.
Oui, ça commence souvent de la même façon. Les rencontres, globalement, dans tous les sens et ses acceptions. Et parfois se produit un quelque chose de magie, un temps. Mais ça, ça ne fonctionne que d'une sorte, ça ne procède que d'une manière. Quand on tient la distance. Quand on se tient à distance. Mais pas trop, et pas sûr...
  
  
   

Calibrage : Publication FPDV n° 34



En ce dernier jour de l'an, mes remerciements à la FPDV et son équipe de me faire l'honneur et plaisir d'achever leur série "Magie" avec l'un et l'une de mes textes et photos. C'est d'autant plus significatif qu'ils furent les premiers à ouvrir une fenêtre sur le monde extérieur aux Mots des Marées.

Pour la lecture, c'est visible ici ou ci-dessus.

De bonnes fêtes à toutes et tous, et à l'année prochaine,

à tantôt,

 
 

dimanche 30 décembre 2012

Des bonnes excuses

  
  
  
Parfois, soit il n'y a rien d'intelligent à dire
soit l'intelligible n'a pas besoin d'être dit.
Mais on peut tout de même dire une connerie,
ça a au moins le mérite de détendre l'intellect.
Comme quoi, sans chercher bien loin,
il y aurait toujours quelque chose à dire.
  
  
  

Du contre-temps

  

  
Le contre-temps,
c'est le climat contrarié,
la maladie maladroite
de l'heur qui baise
humide le front
et sa main qui
serre le cœur,
finalement mène
au printemps.

Rien à voir avec
la contre-performance,
qui achève trop tôt,
ni le contre-plaqué,
qui n'arrive
jamais assez tard.


 

samedi 29 décembre 2012

Du contre-jour

 
 
 
- le contre-jour,
c'est la niche du regard
dans l'oreille du ciel,
on n'y voit que 
ce qu'on entend,
mais c'est beau -
  
  
 

vendredi 28 décembre 2012

Des circulaires



   
    suivre un   mouvement   avancer   d'un point   alternatif   à autre chose   peut-être   revenir et   recommencer   jamais   identique   dans le même   mouvement   en chemin   déposer   quelque chose   continuer sans   ou avec   quelque chose   d'autre   et recommencer   pareillement   avec
d'autres   choses
   
roue de tambour
marée oscillante
rotation solaire
globe occulaire
ministre décrété
tangage administré

dans le même    mouvement   différent   différemment   même quand   rien   ne bouge


 

Des fins plutôt que d'autres III

  
  
  
     Sorti promener le chien. Le gros, l'idiot, c'est selon. Le médecin a peut-être raison, il faut remuscler ces jambes. Ça fait une plombe. Tant pis si elles se sauvent en cours de route. Elles n'iront pas loin, toutes de plomb vêtues. Le terrain est découvert, bleu, il semble enfin. Pas longtemps. Le vent d'ouest est bien là. Le vent du large balayé par les plaines jusque là. Sans iode. Vite, le soir est tombé sur le matin. Routes sur les marées. Mais ça semble différent. Question : différent à quand ? Pas à cause de ce énième jour de pluie. Ni d'être dessous. Ça semble, mais ça ne l'est pas tant que ça, tout compte fait. Ça ne l'est pas. Les maisons s'espacent, mais sont là, jamais très loin. Chaque hameau dépassé laisse entre eux en pointillés ses petits étangs privés, avec ses cinq panneaux rouges et blancs de propriété ânonnée. Poignardés à même le tronc. La route étroite est bordée d'arbres nus, les pieds trempés dans l'eau croupissante nourrie des nouvelles averses. Une quadra amateur tente la photographie. Plantée dans des bottes en caoutchouc Little Marcel, sur pantalon de skaï. L'objectif cherche les canards que l'on entend, au loin, derrière le rempart des futaies, et l'avertissement au pinceau. Elle ne voit pas les fanions de cartons déchiquetés, jaune et rouge, qui se secouent au vent dans les haillures. La lumière est mauvaise pourtant. Il faudra que je ressorte le mien. L'appareil, je veux dire. Mais en ce moment incapable d'entrevoir une composition. Souvent, on regrette de ne pas l'avoir avec soi. Saisir une sensation.
     Les champs perdus entre les marais cherchent un peu d'air, suffoquent sous les eaux et les briques. A chaque bouche passant le courant qui ne file pas entre les fossés, l'eau noie l'alcool en vain. Les bouteilles se cognent aux canettes. Un tocsin étouffé. Dans le creux des bois, les restes consommés empilent leurs restes d'os et de mousse polyéther. Des bras de fauteuil tendent leurs mains vermoulues au ciel. Quand la distinction ne se fait plus d'avec les tourbières, on aperçoit la danse des mousses à la surface, sur la scène des branches flottantes et des pneus affleurants. Elle qui m'a encouragé à sortir, pour me détendre, m'aérer, je sais déjà que je vais la décevoir. Elle voulait me faire plaisir. Je vais rentrer renfrogné des saletés des autres. De l'omniprésence de ce que je fuis lors des marches. Les averses s'amplifient, le jean plaqué sur les cuisses sert de mandataire au froid. Le reste, ça va. Une écharpe, aurait été bien. La canne au sol ne claque pas, fait même moins de bruit que l'eau. Le gros tire. Il rumine, ravale la vapeur de son souffle. Il a bien pigé que le mousqueton restera enclenché. La seule atteinte réelle du temps s'attaque aux yeux, qu'il plisse pour parer les gouttes. Le reste, ça va. Pas froid, même ruisselant. Le nez file partout, comme mes yeux. Pas sur les mêmes choses. Le Davidoff réchauffe l'intérieur. Incongru, mais c'est fête, quand même. Ce sera tout, il pleut trop pour réussir à garder un galo au sec, même sous le chapeau. Au moins, les genoux tiennent, ne lâchent pas.
     Les façades chaudes renferment leur bonheur, leur simili de bonheur. Les façades sont mensongères, elles repoussent dans les bas-côtés leurs encombrants, les embarras et les regards des passants, à ce qu'on m'avait dit. Partout la route insinuée, du goudron, sale, gras, huilé. Les voitures soulèvent des vagues qui s'écrasent dans les rigoles, puis retournent aussi vite sur le macadam. L'eau est plus libre que nous, nous passons le long de parcelles en parcelles, à pas parcimonieux, sûrs. On ne peut pas dire qu'ils évitent les flaques. Le sol entier est une flaque immense. Mais ce n'est pas le climat et sa conséquence, qui lui donne une allure de terre gaste. Au contraire, il fait partie du truc. Du truc à accepter pour comprendre la région, l'intégrer. Goûter son « charme ». Mais peut-être cette jalousie, cette obstination de mise en scène à l'anglaise ratée, crasse. Où chacun se gausse de sa propriété. Sa pêche privée, sa chasse réservée, l'emballage de son estomac entassé à l'entrée. Comme si la terre n'avait attendue que ça. Et l'eau de s'en gausser à son tour. Mais nous sommes tous deux bien trop solides pour suivre son chemin. Solides... Mouep...
Je tente quand même de frotter la pierre, le vent est un peu coupé, comme les doigts qui dépassent des mitaines. Elle s'allume. La voie de chemin de fer nous barre la route. Le TER passe. On aperçoit les regards bovins qui observe le marcheur perdu entre les gouttes. Je suis aussi un peu comme le train, comme les passagers du train. J'aperçois aussi les regards. C'est moi qui passe. Le paysage se déroule linéaire, plat comme si j'étais dans un de ces wagons. Humide. Un wagon-douche. On file toujours le train. On rejoint toujours quelque chose, une voie ferrée, un canal, une autre route. On rejoint toujours la voix des hommes. On s'arrête toujours par la voix des hommes. On est toujours arrêté par les voies des hommes. A prendre les sens des trajectoires incertaines. Nous repassons un pont bitumé, encore. Il lève la truffe, il a reconnu. Un soulagement dans la bête et une tension dans la corde.
     Non, ça n'a pas été la fin du monde. Mais à y regarder, d'avoir un peu tracé, c'est la fin d'un monde. Peu importe où il se trouve, en fin de compte, les marches sont bien trop peuplées de tout ce qui n'est pas lui, le monde est bien trop occupé de monde.
  
  
  

jeudi 27 décembre 2012

Des fins plutôt que d'autres II


  
  
Sorti promener le chien. Le gros, l'idiot, c'est selon. Le médecin a peut-être raison, il faut remuscler ces jambes. Tant pis si elles se sauvent en cours de route. Le terrain est découvert, bleu, il semble enfin. Pas longtemps. Le vent d'ouest est bien là. Le vent du large balayé par les plaines jusque là. Vite, le soir est tombé sur le matin. Routes sur les marées. Mais ça semble différent. Pas à cause de ce énième jour de pluie. Ni d'être dessous. Les maisons s'espacent, mais sont là, jamais très loin. Chaque hameau dépassé laisse entre eux en pointillé ses petits étangs privés, avec ses cinq panneaux rouges et blancs de propriété privé. Poignardés à même le tronc. La route étroite est bordée d'arbres nus, les pieds trempés dans l'eau croupissante nourrie des nouvelles averses. Une quadra amateur tente la photographie. Plantée sur des bottes en caoutchouc Little Marcel, sur pantalon de skaï. Vrai. L'objectif cherche les canards que l'on entend, au loin, derrière le rempart des futaies, et l'avertissement au pinceau. Elle ne voit pas les fanions de cartons déchiquetés, jaune et rouge, qui se secouent au vent dans les haillures. La lumière est mauvaise. Il faudra que je ressorte le mien. L'appareil, je veux dire. Mais en ce moment, même sans, incapable d'entrevoir une composition. Souvent, on regrette de ne pas l'avoir avec soi. Saisir une sensation. Les champs perdus entre les marées cherchent un peu d'air, suffoquent sous les eaux et les briques. A chaque bouche qui passe le courant qui ne file pas entre les fossés, l'eau noie l'alcool en vain. Les bouteilles se cognent aux canettes. Un tocsin étouffé. Dans le creux des bois, les restes consommés empilent leurs restes d'os et de mousse polyéther. Des bras de fauteuil tendent leurs mains vermoulues au ciel. Quand la distinction ne se fait plus d'avec les tourbières, on aperçoit la danse des mousses à la surface, sur la scène des branches flottantes et des pneus affleurants. Les averses s'amplifient, le jean plaqué sur les cuisses sert de mandataire au froid. Le reste, ça va. Une écharpe, aurait été bien. La canne au sol ne claque pas, fait même moins de bruit que l'eau. Le gros tire. Il rumine, ravale la vapeur de son souffle. Il a bien pigé que le mousqueton restera enclenché. La seule atteinte réelle du temps s'attaque aux yeux, qu'il plisse pour parer les gouttes. Le reste, ça va. Pas froid, même ruisselant. Le nez file partout, comme mes yeux. Pas sur les mêmes choses. Le Davidoff réchauffe l'intérieur. Incongru, mais c'est fête, quand même. Ce sera tout, il pleut trop pour réussir à garder un galo au sec, même sous le chapeau. Au moins, les genoux tiennent, ne lâchent pas. Les façades chaudes renferment leur bonheur, leur simili de bonheur. Les façades sont mensongères, elles repoussent dans les bas-côtés leurs encombrants, les embarras et les regards des passants, à ce qu'on m'avait dit. Partout la route, du goudron, sale, gras, huilé. Les voitures soulèvent des vagues qui s'écrasent dans les rigoles, puis retournent doucement sur le macadam. L'eau est plus libre que nous, nous passons de parcelles en parcelles, à pas parcimonieux, sûrs. On ne peut pas dire qu'ils évitent les flaques. Le sol entier est une flaque immense. Mais ce n'est pas le climat et sa conséquence, qui donne une allure de terre gaste (gâtée). Au contraire, il fait partie du truc. Du truc à accepter pour comprendre la région, l'intégrer. Goûter son « charme ». Mais cette jalousie, cette obstination de mise en scène à l'anglaise ratée, crasse. Où chacun se gausse de sa propriété. Sa pêche privée, sa chasse réservée, l'emballage de son estomac entassé à l'entrée. Comme si la terre n'avait attendue que ça. Et l'eau de s'en gausser à son tour. Mais nous sommes tous deux bien trop solides pour suivre son chemin. Solides... Mouep... Je tente quand même de frotter la pierre, le vent est un peu coupé, comme les doigts qui dépassent des mitaines. Elle s'allume. Nous repassons un pont bitumé, encore. Il lève la truffe, il a reconnu. Non, ça n'a pas été la fin du monde. Mais à y regarder, d'avoir un peu tracé, c'est la fin d'un monde. Peu importe où il se trouve, en fin de compte, les marches sont bien trop peuplées de tout ce qui n'est pas lui, le monde est bien trop occupé de monde.
  
  
  

Des tables à servir

 
 
  
en attendant
un peu de sel
la réduction
de la sauce
faire un peu
de gras
sortir le pain
préparer
la farce
prochaine
en attendant
de se resservir
un peu de
mise en danger
sur la table
d'écriture
 
 
 

mercredi 26 décembre 2012

Des fins plutôt que d'autres I

  
  
 
Sorti promener le chien. Le gros, l'idiot, c'est selon. Le médecin a peut-être raison, il faut remuscler ces jambes. Ecouter le doc. Tant pis si elles se sauvent en cours de route. Le terrain est découvert, bleu, il semble enfin. Pas longtemps. Le vent d'ouest est bien là. Le vent du large balayé par les plaines jusque là. Vite, le soir est tombé sur le matin. Route sur les marées. Mais ça semble différent. Pas à cause de ce énième jour de pluie. Ni d'être dessous. Les maisons s'espacent, mais sont là, jamais très loin. Chaque hameau dépassé laisse entre eux en pointillé ses petits étangs privés, avec ses cinq panneaux rouges et blancs de propriété privé. La route étroite est bordée d'arbres nus, les pieds trempés dans l'eau croupissante nourrie des nouvelles averses. Les champs perdus entre les marées cherchent un peu d'air, suffoquent sous les eaux et les briques. A chaque bouche qui passe le courant qui ne file pas entre les fossés, l'eau noie l'alcool en vain. Dans le creux des bois, les restes consommés empilent leurs restes d'os et de mousse polyéther. Quand la distinction ne se fait plus d'avec les tourbières, on aperçoit la danse des mousses à la surface, sur la scène des branches flottantes et des pneus affleurants. Les averses s'amplifient, le jean plaqué sur les cuisses sert de mandataire au froid. Le reste, ça va. Une écharpe, aurait été bien. Le gros tire. La seule atteinte se situe dans ses yeux, qu'il plisse. Le reste, ça va. Pas froid, même ruisselant. Le nez file partout, comme mes yeux. Pas sur les mêmes choses. Le Davidoff réchauffe l'intérieur. Incongru, mais c'est fête, quand même. Ce sera tout, il pleut trop pour réussir à garder un galo au sec, même sous le chapeau. Partout la route, du goudron, sale, gras, huilé. Même là où il n'y a rien. Marais, bois, tourbières, friches. Là où il y a tout. Clôturé, ceint, barré, pannoté et barbelé. Les voitures soulèvent des vagues qui s'écrasent dans les rigoles, puis retournent doucement sur le macadam. Il est brave, il s'assoie au passage.
Non, ça n'a pas été la fin du monde. Mais à y regarder, d'avoir un peu tracé, c'est la fin d'un monde. Peu importe où il se trouve, en fin de compte, les marches sont bien trop peuplées de tout ce qui n'est pas lui, le monde est bien trop occupé de monde. Faudra pousser un peu plus loin.
  
  
  

lundi 24 décembre 2012

Du bon câblage II, version définitive



Certains jettent des pièces
au fond des puits
D'autres puisent l'amour
aux coins des rues
Il n'est jamais facile
de se brancher correctement
sur le courant
Les dérivations sont fréquentes
Ce qui est sûr
c'est que chacun bricole
à s'éclairer
à deux
C'est-à-dire
l'autre est un fusible
qui empêche de
péter les plombs
tout en illuminant
              les jours
 
 
 

Du bon câblage



Certains angles
n'existent
dans le fond
que pour cogner
des éclairs
ensemble
ils ne font
finalement
qu'éclairer
le courant
entre des murs
trop anonymes
entre eux


De la dépossession

  

  
Cinquième jour d'incontinence céleste continue
encore étonné de pouvoir circuler
sur les routes qui ne dégorgent plus l'eau
et les voir ricocher ainsi entre les étangs
ici les marais ne connaissent pas l'estran
c'est la terre qui doit absorber
elle n'a plus soif
je pense
je pense encore
à la rencontre d'hier soir
rentrant de la ville
un peu comme dans un film
post-technicolor
le long du canal
je veux dire le long de la route
longeant le canal
avant de bifurquer vers le bois
avant l'orée pétrole du bois
je dis pétrole
d'habitude à cette heure ça se joue
plutôt pomme caramélisée
aux extrémités de cannelle
dans la poêle beurrée jusqu'à ras-ciel
est-ce la bruine qui tombe
ou la brume qui monte ?
tout est bleu
et la terre retournée scintille mauve
avant l'orée pétrole du bois
un loup, un résidu de loup
une sorte de berger à la démarche
nonchalante balance ses poils poivre
gris et blanc devant les phares
qui décélèrent et qu'il ne regarde
même pas
tandis que mes yeux recomposent
ses pas déthérés
et le geste calme de son assurance désintéressée
je me suis souvenu alors
combien de temps j'avais cru
posséder intérieurement un loup
en moi
je me disais j'ai un loup
il agissait sur une partie des actes et des pensées
enfin je croyais
c'est idiot
jusqu'à ce que je comprenne enfin
que je n'avais pas un loup
qui me possédait parfois souvent
mais que
somme toute
j'étais un loup
je me suis souvenu dès lors
que tout alla mieux
dans la plage horaire
de mes plaines
  
  
  

dimanche 23 décembre 2012

Calibrage : Publication Traction-Brabant n° 49


Traction-Brabant n° 49, sous l'égide de Patrice Maltaverne, vient de paraître

TRACTION-BRABANT 49
18 décembre 2012

Ont participé à ce numéro 49 :

Cédric Bernard – http://lesmotsdesmarees.blogspot.fr/ -
Marc Bonetto
Julien Bucci – http://littorale.blogspot.fr/ -
Michèle Caussat
Uzayir Lokman Cayci
Jean-Marc Couve
Christophe Esnault
Cathy Garcia – http://larevuenouveauxdelits.hautefort.com/ -
Delphine Gest
Thomas Grison
Jacques Laborde – http://www.bestiairedubasmontmartre.org -
Alain Lacouchie – http://alloallac.blogs.nouvelobs.com/ -
Xavier Le Floch – http://xavierlefloch.blog.mongenie.com -
Editions associatives du Port d'Attache, chez Jacques Lucchesi – http://editionsduportdattache.over-blog.com/ -
Fabrice Marzuolo – http://marzuolo.centerblog.net/ - http://autobus.centerblog.net/ - http://ravenchar.centerblog.net/ -
Olivier Millot
Murièle Modely – http://l-oeil-bande.blogspot.com/ -
Morgan Riet – http://cheminsbattus.wordpress.com/ -
Salvatore Sanfilippo – http://salvatore-sanfilippo.over-blog.com/ -
Guillaume Siaudeau – http://www.lameduseetlerenard.blogspot.fr/ - http://www.charogne-magazine.blogspot.fr/ -
Michel Talon
Jean-Marc Thévenin
Marc Tison – http://www.marctison.com/ -
Florian Tomasini
Pierre Vella


Mes saluts, et surtout remerciements à Patrice Maltaverne, pour m'avoir associé à l'aventure (ce qui en soi me fait croire que Noël et son père existe, ...),
bonne lecture


PS : Qu'on se le dise, Patrice Maltaverne se lance dans la micro-édition, qui n'est autre que de l'édition. Micro est donc de trop... Où s'arrêtera-t-il ? Le plus loin possible ! Toutes les infos disponibles ici : Le Citron Gare


vendredi 21 décembre 2012

Des exclamatives

  
 
  
Je suis
content
il arrive
parfois
de me trouver
comme un
gosse

l'âme
existerait
donc
  
  
 

De la cueillette : Des choix du noir

 
 
 
Tant à se complaire dans l'obscurantisme tout en s'effrayant de l'obscurité.
La sensation de confort est bien une notion toute personnelle...
  
  
 

jeudi 20 décembre 2012

De la difficulté des accords

  
  
  
Personne n'avait relevé sa radicalisation. Mais tous s'accordaient sur le fait qu'il n'avait pas assez participé au passé. On ne s'était pas aperçu que cela avait été déterminant pour sa nature invariable. Même si actuellement il essayait de conjuguer ses actions en fonction de sa personne, on espérait au moins qu'il serait à la fois moins passif et plus présent dans le futur. Ce ne devait être qu'un automatisme à prendre, une question de temps, d'indicatif. Mais on parlait en son nom propre. Impérativement, il ne se serait pas qualifié de la sorte. Avait-il tort de se substituer ainsi ? A voir cette sainte taxe dans laquelle on voulait le réglementer, l'ordonner, son cas particulier et sa conditionnelle le confortaient dans l'idée de poursuivre dans ses propres désinences. Les appositions extérieures n'étaient qu'artificielles. Après tout, l'état et verbe, c'est personnel.


 

mercredi 19 décembre 2012

De la cueillette : De l'écoute

 

  - écouter, c'est entendre tout ce qui ne se dit pas. -
 
  
  

De la dernière cigarette

  
  
  
Il lui demande des allumettes.
Oui, répond-t-elle, mais seulement
si tu es prêt à craquer,
ça en demande, du chemin.
On ne s'engage pas comme ça
dans une révolution.
Je suis prêt, répond-t-il, ferme,
comme hier, comme demain.
Alors la nuit lui passe le feu,
et le jour allume la mèche
du monde, comme une clope
de condamné.
  
  
  

mardi 18 décembre 2012

Du chemin du halage

  
  
 
Sur le chemin du halage
les traits s'effacent
ne demeurent que quelques
mouettes qui tirent
leur exil tout contre le courant
du ciel qui gaine
ses guêtres jusque dans le canal

Sur le chemin du halage
les traits s'effacent
jusque sur le bois des berges
et les barges chues
saisie l'eau vermoulue fraye
en dessin labile
sur les tempes de la terre

Sur les chemins du halage
les tout s'effacent
tout s'effacerait ou presque
si on ne s'y retournait
à tracter ainsi courbé d'avant
autant et si peu de soi
au bout de cordes de chanvre facturé


  

Bourrée

 Partage d'écriture n°3, nouvelle 3


Thème : "Il est vain d'écrire sur des thèmes choisis. Nous devons attendre d'avoir allumé une flamme dans notre esprit. Il doit y avoir une force reproductrice et génératrice de l'amour derrière chacun de nos efforts pour réussir. La décision froide ne donne naissance, n'aboutit à rien. C'est le thème qui me cherche, et pas le contraire. La relation du poète à son thème est une relation amoureuse."
H. D. Thoreau, La moelle de la vie, 500 aphorismes.


Bourrée

Pour réussir, n’aboutis à rien… Qui me cherche ? Un poète ? Qui me cherche ? N’aboutis à rien pour réussir… n’aboutis à rien… Qui me cherche ? Du Poète, qui me cherche ? Et pas le contraire, qui me cherche ? C’est le thème ! N’aboutis à rien, ne donne naissance pour réussir, derrière chacun de nos efforts et pas. Le contraire qui me cherche n’aboutit à rien. Ne donne naissance, c’est le thème (n’aboutis à rien pour réussir)… dans notre esprit ne donne naissance ! C’est le thème, n’aboutis à rien ! Ne donne naissance ! N’aboutis à rien ! Pour réussir ? Dans notre esprit ? Pour réussir, ne donne naissance ! « N’aboutis à rien pour réussir » Dans notre esprit, d’avoir allumé, sur des thèmes choisis, D’AVOIR, allumé ! Il doit y avoir une force. Pour réussir, ne donne naissance ! Il doit y avoir une force ! d’écrire, il doit y avoir une force ! Ne donne naissance, c’est le thème ! La relation ? c’est le thème ! ne donne naissance. De l’amour… une flamme… nous devons attendre. D’écrire, nous devons attendre, dans notre esprit de l’amour ! POUR REUSSIR ! Dans notre esprit, il est vain, dans notre esprit, pour réussir, n’aboutis à rien ! Qui me cherche ? La relation du poète, et pas le contraire. C’est le thème, et pas le contraire, c’est le thème, ne donne naissance ! C’est le thème ! NE DONNE NAISSANCE ! Il doit y avoir une force. De l’amour. Pour réussir NE DONNE NAISSANCE, N’ABOUTIS À RIEN ! C’est le thème qui me cherche et pas le contraire. La relation dans notre esprit de… L’AMOUR n’aboutit à rien, IL DOIT Y AVOIR UNE FORCE c’est le thème de l’amour, NE DONNE NAISSANCE, N’ABOUTIS À RIEN ! De l’amour ? Sur des thèmes ? CHOISIS DE L’AMOUR, n’aboutis à rien, DU POÈTE, n’aboutis à rien ! Reproductrice et génératrice, NE DONNE NAISSANCE ! Il doit y avoir une force d’écrire, Il doit y avoir une force, NE DONNE NAISSANCE ! La relation, la décision froide dans notre esprit. Il doit y avoir une force pour réussir… N’aboutis à rien ! Dans notre esprit, une flamme ! NE DONNE NAISSANCE ! N’ABOUTIS À RIEN ! C’est le thème. IL DOIT Y AVOIR UNE FORCE DANS NOTRE ESPRIT, UNE FLAMME ! D’avoir allumé, nous devons attendre. C’est le thème qui me cherche et pas le contraire. Une flamme ? D’AVOIR ALLUMÉ NOUS DEVONS ATTENDRE. Sur des thèmes, choisis d’écrire, et pas le contraire. La relation du poète, à son thème, est une, relation amoureuse, EST UNE, relation à son thème, du poète, la relation, ET PAS LE CONTRAIRE !, qui me cherche ? C’EST LE THEME ! ET PAS LE CONTRAIRE !!! qui me cherche ? C’EST LE THEME, n’aboutis à rien ! ne donne naissance pour Réussir. De l’amour ? Il doit y avoir une force dans notre esprit ! N’aboutis à rien, une flamme n’aboutit à rien, d’écrire ne, DONNE NAISSANCE. N’ABOUTIS À RIEN ! D’avoir allumé ? Dans notre esprit ? De ???!!!! L’AMOUR……………………………………………………… N’ABOUTIT………………………….………………………… À…………………………………………………………………… RIEN………………………………………………..
Tu comprends chaussette ?


Cédric Underfog
 

lundi 17 décembre 2012

De l'éphéméride

  
  
  
emprunter les routes des feuilles mortes les routes mortes au matin alignées à l'eau des fossés l'eau des marais mariée aux routes côte à côte les bas-côtés rasés aux engelures du macadam traverser les rus traversant les rues la terre grasse sous les roues les feuilles les feuilles de routes aux arbres débordés de se dépouiller jusque dans les trottoirs d'eau emprunter les routes des eaux mortes au soir effeuiller un peu de temps à la respiration du pied comme agrafer son œil à l'abri d'ailleurs les routes feuilletées des pluies tant que les poules n'en distinguent plus la nature des voies et les phares à voir le noir bordant le noir des étangs des étangs qui bordent les lignes blanches inexistantes au centre des routes des feuilles mortes

comme effeuiller
un peu d’œil
à l’agrafe
du temps
tandis
que
  
  
  

dimanche 16 décembre 2012

Du miscible



 
Ce matin, poussière broyée de la nuit
au fond de son creuset,
il se cramponne au couvercle
pour retarder l'instant
où il se dissoudra dans le jour
pour n'y faire qu'un.


samedi 15 décembre 2012

De la cueillette : Du réalisable

  
  
Il est plus rare de voir aboutir quelque chose de profond de ce qui naquit de grandes idées que de ce qui émerge de petits riens.
  
  

vendredi 14 décembre 2012

De l'histoire des langues

  
  
  
d'abord, d'abord, d'au bord
                                            des lèvres
la morsure
sanglée le mors aux yeux
nourrie du son mort de n'être dit
du son grand de naître dit en silence

et puis, et puis, épuiser
                                           les lèvres
des morsures
étranglées le mordant jeu
nourri des mots qui sont dits
du son grand d'être dicté d'évidence

encore, encore, l'écore
                                          des lèvres
l'écorchure
langée des yeux morts
nourrie dudit son mort-né
du son trop grand d'être de silences
  


se reconnaître                    - sans parler -
se naître                          - s'en parler -
se mettre                      - sans tarder -
se renier                    - s'en taire -   
se nier                    - s'enterrer -   

 

Du dense

 
 
 
s'en savoir
si le ciel de traîne s'est marié à l'horizon
s'il s'étire d'être courbé quand il se couche
s'en savoir
si l'estran arraisonne et traîne la robe des marées
si la marée l'étire à la courbe de sa couche
s'en savoir
si la mer prend pied sur le pier
si le pier perd pied dans la mer
s'en savoir ou pas
sans savoir
ce qui se dit ou pas
s'en saisir de ce qui qui est là
les yeux entrelacés dans la densité de ce qui ne s'entend pas
 

 

jeudi 13 décembre 2012

De la cueillette : Des fermetures




A trop l'ouvrir,
c'est un peu
comme
avoir les mains
qui sentent
des pieds.
On ne touche
plus personne...
  
  

mardi 11 décembre 2012

De la cueillette : Des règles du je


 
 
Certaines règles
pour être jouées
réclament à
prendre pilules,
c'est faire point
de croix
sur ce qui devrait
être poing
d'honneur.
  
  
  

lundi 10 décembre 2012

Du sensible, essai

  
  
  
- sensible :
corde où déséquilibrer les poids
qui s'en balancent sans raison.
le jeu de marchande ne suffit pas
toujours aux échanges équitables,
mais quelle justesse à tout ça ? -
  
  
 

De la bande-passante

 
 
  
hier soir je regardais le ciel pisser ses couleurs un peu cramées ses engelures aux petits bouts de ses nuages ça se passait là-bas de l'autre côté en levant la tête c'était ici sur le trottoir d'en face c'était ici en regardant j'ai repensé au sifflet de la cocotte au sifflet du midi comme pouvait le faire avant mais maintenant le ciel pissait ses couleurs cramées son petit corps détendu chauffait les cendres du mien j'aurai voulu tu sais elle était là j'ai repensé au sifflet de la cocotte les pies qui avaient chassées les merles au printemps sont parties le pic est là lui au sifflet de mon matin tu sais y pensaient-ils comme moi j'y ai pensé c'était là j'aurai voulu tu sais l'instant où j'étais enfant et parent en même temps que ça dure en regardant il s’appuyait comme je ne faisais jamais il s'appuyait que ça ne s'arrête j'aurai voulu que ça continue c'était là l'instant c'était ici j'ai touché l'engelure du ciel hier soir les deux instants se sont touchés et lui et toi dimanche c'était ici en face face à moi je regardais le ciel pisser ses couleurs un peu cramées hier soir j'étais les petits bouts de doigts du ciel j'étais l'engelure
  

 

samedi 8 décembre 2012

D'entre-nous

  

Nous sommes

quelques traits

tirés
         tiraillés

déséquilibrés
                        ivres
ivraie
                        livrée

en plan

aux comètes


quelques points

ajoutés
              ajourés

une somme

dispersée
                 éparse


                                             une ligne
                             disparate                                                                disparue


quelques traits
                             fatigués

qui sourient

                       quand ils       se
reconnaissent


dans les traits

                       de l'autre
  
  
  

vendredi 7 décembre 2012

De la greffe

 Partage d'écriture n°3, nouvelle 2


Thème : "Il est vain d'écrire sur des thèmes choisis. Nous devons attendre d'avoir allumé une flamme dans notre esprit. Il doit y avoir une force reproductrice et génératrice de l'amour derrière chacun de nos efforts pour réussir. La décision froide ne donne naissance, n'aboutit à rien. C'est le thème qui me cherche, et pas le contraire. La relation du poète à son thème est une relation amoureuse."
H. D. Thoreau, La moelle de la vie, 500 aphorismes.



J'ai toujours pensé que si j'écrivais, c'était pour exprimer les choses dont je ne parlais pas. Pour matérialiser les silences dont je suis fait. C'est d'ailleurs comme cela que tout a commencé. Enfin je crois. Ou presque. La lecture est un préquel. Et naturellement, les premiers jets furent intimes, un peu précoces. Un peu honteux. Maladroitement niais. D'avant une puberté concrète. Le tout se cintrait dans des phrases trop grandes pour moi, comme dans ces jeux d'enfants où les minots imitent leurs parents. Le ton leur paraît toujours si juste sur le moment, même s'il est singe, après coup. Sur le modèle de l'évolution de l'espèce. Plus on avance, plus ce qu'il y a de nous derrière nous nous paraît archaïque, dévolué.

Emmuré dans un mutisme plus ou moins subi, je dis plus ou moins subi, à vivre en microcosme, on finit par s'habituer aux frontières imposées, à fantasmer l'extérieur comme inaccessible et effroyable, effroyablement exaltant. On intègre les barreaux comme les piliers qui maintiennent tout l'édifice, maintiennent notre tout. C'est un peu ça aussi la liberté. Lorsque les limites sont bien cernées, l'individu apprend à évoluer à l'intérieur de ces limites, et son espace apprivoisé gagne en ampleur. Ça peut paraître paradoxal, mais les pensionnés expérimentent vite cette réalité, expérimentent très vite ces marges de manœuvre qu'ils ingèrent, puis qu'ils éprouvent. Et ils ont tous mille et une histoires qui s'apparentent à des états de services de « chiens libres ».

Ainsi, emmuré dans un mutisme relatif, les premiers rapports se mettent en place. Très rapidement les rapports à la lecture. Il faut bien combler le silence avec des mots. Ce fut ceux des autres. Bien sûr les autres. Ceux des romans d'aventures. Des aventures de personnages qui renouent d'avec la nature, même à l'époque où elle était encore relativement prégnante. Qui renouent d'avec leur nature. Quitte à être parfois dans l'emphase. Les aventuriers sont séduisants. Ils invoquent le fantasme de l'enfant. Ils matérialisent à la fois son imaginaire et son impuissance. Pli pris, ça va vite ensuite, tourner les pages, puis d'autres, toujours de nouvelles péripéties, des dizaines dans la semaine, des semaines dans le mois, autant de mots dans le moi.

Le rapport au temps change aussi. Sur quelques heures partir quelques mois en forêt. Le temps s'écoule vite, il s'arrête. Contradiction. Dès que la page s'ouvre, le temps semble s'arrêter, passer très vite, le temps alloué est toujours trop court : savoir la suite, s'emplir des actions, des verbes, des idées, des mots. Ne pas voir le temps passer. D'ailleurs, c'est aussi à cette époque que cela a commencé. Les montres au poignet s'arrêtaient toutes. De marque, de pacotille, bracelet ou gousset, aucune ne voulait m'étreindre de ses bras. Marquer le tempo de mon chemin. Comme si déjà des éléments extérieurs me plaçaient en dehors. Alors on trouve d'autres étalons : l'école, les devoirs, la lecture, le repas, la lecture, la lecture. C'est à cette époque que cela a commencé. On apprend l'heure en même temps qu'on prend la raison.

Dans une construction, élever les murs avec des mesures biaisées amène à habiter ensuite entre des murs bancals. C'était un peu ça. J'habitais un monde parallèle, intemporel. Les jeux d'enfants étaient immatériels, et les jeux des enfants ne m'incluaient pas. On s'habitue. Puis c'est difficile de faire entrer l'autre dans sa tête, pour venir y voir tous les pas conquis, les étendues parcourus, les connaissances établies... Ces trésors-là ne se racontent jamais aussi bien qu'ils se lisent, surtout quand on ne les a pas vécus. A force de marcher à côté, en arrière, de travers, quand on relève la tête, on se voit transpercé de néant. A se demander si l'on existe vraiment, tout compte fait. Je reprenais inconsciemment les rapports établis, pour les feuilleter. Ça a été vite, très vite. Un seul résultat positif : le rapport aux mots. Aux mots écrits. Je ne savais pas m'exprimer. Les mots, quand on lit, ce sont les yeux qui les utilisent. On n'a pas besoin de voix. Je n'avais pas de voix. La maison n'a rien favorisé. Elle ne possédait que des mots ménagers. L'angoisse s'est installée graduellement, le plic-ploc des ruissellements d'après l'orage dans les flaques déjà pleines. Il a fallu un moyen de s'assurer de sa propre existence dans le monde, de son existence en dehors du cercle familial. Quelque chose qui me dise « je suis », en dehors d'une carte de bibliothèque. C'est comme ça que ça a commencé. Je me suis placé comme thème. Histoire de voir si j'avais bien une histoire à moi.

C'est comme ça que ça s'est fini. Et rapidement. Entre le strict de l'éducation et la morale judéo-chrétienne, vivre des aventures, c'était plutôt honteux. Puis qu'a à raconter un ado pré-pubère qui passe son temps à lire. Les longues promenades ? Les semi-fugues ? Elles sont fréquentes, courantes comme des rhumes sur les trottoirs devant les portes de l'hiver. C'est fou ce qu'on peut vite s'ennuyer de soi-même. Il fallait autre chose. Et des matières, il y en avait plein, cent, mille, cent mille entreposées dans le souvenir des reliures. Je m'en serais battu avec, m'en suis débattu, des phrases trop longues pour mes bras maigres. Des cahiers trop grands pour mes lignes tordues. Encore.

Avec le temps ça passe, mais les thèmes déboulent d'eux-mêmes livrés avec un paquet d'hormones. Sur l'étiquette, il a fallu déchiffrer : « Démerde-toi avec ça ! ». Et déchiffrer encore. On peut même dire que ça se déroulait tout seul. C'est facile, en fin de compte. Quelle idée d'envoyer le tout enroulé dans des kilomètres de paquet cadeaux, pour à la fin constater que l'adolescence, finalement, ce n'était que cela. Une sorte de film grandeur nature, en plein monde réel. Mais la conscience qu'on y brandit en exergue en moins. Ce fut facile en fin de compte. Quand on n'a pas de voix, tout ce qu'on ne dit pas, on l'écrit. Sur autant de feuilles qu'en entourait ce fichu paquet. Ça ne veut pas dire pour autant que c'était bon. Et le cadeau sympa.

Au contraire. Immergé de ces auteurs dont on nous ouvre la porte tout en nous martelant de rester assis. J'entends encore « Ah Rimbaud ! Ah Baudelaire ! Ah Cendrars ! Ce sont des classiques ! Qu'est-ce qu'ils étaient modernes ! ». D'aimer trop les livres, on se retrouve à apprendre à les décortiquer, carapaces, coquilles, pattes, éléments visqueux et non identifiés. On apprend à poser un nom sur chacune des choses, des tournures de phrases, des groupes de mots, des jeux et de leurs règles. Bref, on en bouffe jusqu'à plus soif, en oubliant de livrer le vin blanc et le citron qui en donnent la magie. Ravise, mais touche pas ! Puis quand ça commence, quand on rentre dedans, quand on se spécialise, ça s'aggrave encore. Sans fenêtre de sortie. On devient biologiste des mots, sans avoir aucune appétence scientifique.

Et il y avait pire. Se rendre compte à fréquenter la maîtrise qu'on n'est même pas capable de jongler avec deux balles. Que cela ne se résumait pas à passer très vite l'une de ses balles dans l'autre main pendant que l'autre défiait l’apesanteur. Mais bien qu'il fallait envoyer les deux en l'air. Accepter de risquer, ne plus avoir la maîtrise pleine et continue. Lancer pour se lancer. Une sorte de contrôle à distance, mais sans manette. Alors j'ai coupé court. En plus de m'avoir donné la nausée de l'écriture, l'université m'avait dégoûté de la lecture.

En constatant avec quelle véhémence l'on tentait de m'enfiler de force dans le gosier des thèses contradictoires sur les mêmes auteurs, à se suspendre à bout de voix à nos oreilles pour légitimer des années de recherches, je n'avais pas envie d'épiler chaque livre que j'allais lire pour connaître la véritable couleur des poils de son auteur. Je n'avais plus envie. Les bras m'ont servi alors à d'autres choses, et j'ai commencé à parler. A apprendre à parler. De ce fait, j'ai rencontré. Et je l'ai rencontrée. Elle m'apprit de nouveaux rapports. On s'en apprit de nouveaux. Mutuellement.

A partir de là, il n'était plus nécessaire de me prouver une quelconque palpabilité. J'étais. A ses yeux. C'est tout ce qui importait. Elle me parlait, me touchait, me caressait. Elle m'écoutait, aussi. J'étais. C'est bien plus que je n'avais jamais eu. Dès lors, plus besoin d'évasion. Plus besoin de trouver une porte de secours pour les mots. Par les mots. Plus besoin de point de fuite.

On a mis le temps, mais on a construit. Pas à pas, brique par brique, on a entassé de quoi regarder un passé commun, une vraie vie, qu'on peut toucher, manipuler, retourner. Avec un quotidien pour pouvoir me repérer. Je n'ai jamais réussi à guérir les montres, et les horloges restent assez loin de moi, hors de portée. De l'abus aussi. On continue d'entasser, de vider aussi. Il faut bien de la place. Surtout lorsqu'on s'agrandit dans un espace qui lui n'accroît pas. Les cahiers me semblent petits aujourd'hui. Je ne les ai pas jetés. Ils permettent de constater que j'ai bien été enfant. C'était réel. Ils me donnent le sourire. Bleu de mer, et jaune nicotine aussi parfois.

C'est lorsque je me pensais à l'abri, ou plutôt lorsque je n'y pensais plus, que c'est revenu. Des mots. Des tas. Des bennes. Avec des tiges en métal sur lesquelles je me suis accroché, égratigné, empalé parfois. Pourtant, je cause beaucoup. Enfin, je croyais. Des mots de travail, des mots travaillés. Des mots passés sous les pinceaux de la pédagogie. Des mots creux de relationnel. Des mots d'ornement. Mais plus de mots pleins, de mots sensés. De mots censés remplir plus que des ondes dans l'air et des têtes qui n'attendent qu'à s'en vider.

Ils passaient tous au tamis, se dirigeaient dans les bonnes nasses, venaient se fixer seuls sur les lignes. Ils choisissaient leurs casiers. Se calibrer. Dans les gravats, quand la livraison s'est produite, il n'y avait qu'à plonger la main, pour que le sable se calibre seul selon la couleur et la taille des grains. Alors je leur ai obéi. Certains tris semblèrent se tenir, d'autres s'aplatir d'eux-mêmes. Ce qui se révéla certain, c'est que les thèmes s'imposaient d'un seul mouvement de pelle. Ils se présentaient, distincts, avec quelques cellules qui se tenaient par la main. Quelques cellules qui n'attendaient que de se multiplier, prendre forme, devenir.

Cela a aussi durait un temps. Le temps de déblayer le tas, faire place nette. Et quand je regarde ce que j'ai pu construire avec ces quelques cailloux, je ne peux que constater que les seuls qui se tiennent encore un peu debout, les seuls qui peuvent abriter un peu de mon silence sont ceux qui se sont assemblés d'eux-mêmes, sans plan, sans retouche ni enduit. C'est lorsque le thème s'impose de lui-même que les mots s'ordonnent de façon relativement viable. Vivable. Que leur lecture les révèle certes tordus, mais se tenant, solidaires. Solidaires de moi. Qu'ils sont moi même s'ils ne m'appartiennent plus. Même si je les ai mis à distance. J'ai bien essayé. J'essaie bien, de partir de rien, de peu. Et les mots sont gentils. Ils se placent, selon ce que le mortier de l'encre leur demande. Mais ils n'ont jamais la contenance de ceux qui se bousculent au portillon avec leur propre idée en tête.

Alors aujourd’hui, j'écoute. Plus encore qu'hier. Je n'essaie plus de parler. Plus vraiment. Mais j'attends et j'écoute. Les petits pas des mots qui arrivent, s'ils le veulent. Pour pouvoir en tracer leur chemin en moi. Et tracer un peu mieux le mien. Peu importe maintenant s'il va de travers.



Cédric Bernard
  
   

Les mots savent

Partage d'écriture n° 3, nouvelle 1

Thème : "Il est vain d'écrire sur des thèmes choisis. Nous devons attendre d'avoir allumé une flamme dans notre esprit. Il doit y avoir une force reproductrice et génératrice de l'amour derrière chacun de nos efforts pour réussir. La décision froide ne donne naissance, n'aboutit à rien. C'est le thème qui me cherche, et pas le contraire. La relation du poète à son thème est une relation amoureuse."
H. D. Thoreau, La moelle de la vie, 500 aphorismes.

  Écrire révèle des surprises, toujours. Sort toujours quelque chose d'autre qu'escompté. Des chemins qui se croisent, des fils entremêlés qui nous imposent de suivre des directions improbables, de riches démêlages. Être là, ouvert, prêt à emprunter ces chemins souterrains, aux aguets, c'est ça écrire pour moi.
Il y a deux ans environ, je propose à un ami d'écrire sur une drôle d'idée : des chiens qui traversent aux cloutés, qui prennent le bus... Une semaine pour cela. Et ce qui sort est tout autre, loin du récit de science fiction que j'imaginais...

Chienne d'enfer


Je ne pouvais pas me sortir cette chienne de la tête ! Ça faisait deux ans que je lui tournais autour sans résultats. Je finis par détester ce que je prenais pour des encouragements et qui se terminait toujours aussi platement. Alors je comblais, je m'occupais, je courais, quinze à trente kilomètres par jour, pur défouloir ! J'appris à connaître toutes les rues, impasses, propriétés, parkings et escaliers de mon quartier, de mon territoire. Plus personne ne s'étonnait de me voir détaler à perdre haleine dans toutes les directions, sous tous les cieux, pluie, vent, le poil tout hérissé... Je n'empruntais plus le bus, lassée de l'attente et certaine d'arriver avant lui à destination.

A la place, cette histoire d'amour entre deux chiennes, sans préciser qu'elles le sont, des chiennes. Des indices partout mais rien qui pourrait entièrement les distinguer des êtres humains.
Je voulais écrire sur les chiens depuis mon adolescence, j'étais convaincu qu'ils sauraient très bientôt faire leurs courses, prendre les transports en commun, avec des cartes qu'ils porteraient au cou, un porte-monnaie attaché à leurs flancs. Ils savaient déjà attendre avant de traverser, jeter un œil à droite et à gauche, traverser perpendiculairement à la route. Des années plus tard, le clip de Daft Punk montrait des hommes à tête de chien monter dans un bus. Mes théories s'en voyaient validées...

La première fois que je l'ai vue, c'était à une soirée d'une amie commune, Sophia, qui fêtait ses six ans. J'avais été directement hypnotisée par elle. J'appris très vite son prénom à force de questions enflammées à mon hôtesse : Chanel. Elle arborait un collier de cuir noir à pointes qui lui donnait un air provocateur et désuet à la fois. Ce n'était pas une soirée entre lesbiennes ni sm, loin de là, elle affirmait juste sa personnalité, comme si le jeu social ne la touchait pas, comme si tous les regards fixés sur elle ne l'effeuillaient pas. Elle ne m'avait pas considérée, elle m'avait juste mise dans le même panier que les autres. Une telle indifférence forçait le respect.

Et puis l'écrit m'a porté ailleurs, je n'avais pas envie de SF, j'en suis incapable aujourd'hui encore. J'ai inventé ces deux chiennes qui se tournent autour. Je ne voulais pas de deux mâles, cette image d'Epinal des deux mâles qui se montent dessus... J'avais envie de parler de relations homosexuelles de deux chiennes, pour bien montrer que tout est possible sexuellement, que les deux mâles ne se trompaient pas par ignorance et réflexe...
Et c'est là que m'est revenu cette vieille histoire qui n'a pourtant aucun rapport avec l'homosexualité ni avec les chiens, cette jeune femme à la faculté qui explique à l'assemblée d'étudiants qu'elle rêve de se faire enlever, séquestrer par un inconnu...

Il m'en fallut peu pour passer ensuite au sentiment amoureux... Ça a dû naître la deuxième fois que je l'ai croisée, à une pause déjeuner. Le hasard nous avait réunies autour d'une table d'un café dans le campus universitaire que je fréquentais déjà si peu à l'époque. J'avais eu une folle envie de la mordre. Elle était parfaite, j'étais si plate. Elle avait lancé à la cantonade qu'elle espérait romantiquement que quelqu'un l'enlève, comme un terroriste, un violeur, un kidnappeur, un homme, une brute, un chien. Son désir m'avait figée, j'étais blanche, impassible de l'extérieur, toute retournée à l'intérieur. Que n'étais-je pas un mâle, un voyou, un monstre pour la soustraire à son monde, la murer, profiter d'elle, sans aucune idée ridicule et basse de rançon. Je voyais ça, tout ça quand elle développait ses fantasmes de petite chienne bourgeoise. Elle n'avait pas évoqué la possibilité que ce fût une femelle qui aurait pu la malmener, non, juste des petits roquets, vulgaires, creux, la queue en avant ! Mon sexe se dilatait à son écoute effarée. Et puis la conversation a tourné, comme si ce qu'elle avait dit était banal, comme si elle ne l'avait jamais dit. Quelqu'un d'autre parla du temps, de la politique peut-être. C'était comme si j'étais la seule à l'avoir entendue. Le mouillé de ma culotte griffée « je suis un ange » devait également être inventé, sans rapport, un coup de chaud sûrement passager, sans réelle cause érotique.

J'étais le seul jeune homme parmi les étudiantes. Je me voyais bien réaliser son rêve, l'enlever, abuser d'elle. Comment cette vieille anecdote était-elle apparue dans ce récit des deux chiennes ? Je n'en sais rien, l'écrit guide. J'ai tout transposé, comme malgré moi, sans moi, la jeune fille devenait une chienne et moi l'autre, amoureuse d'elle.

Je ne saisis pas ma chance, je me contentais de la regarder avec des yeux plus gros et cons que moi. J'essayais de devenir son amie, bêtement. J'étais plus coincée qu'elle, ma bonne famille avec ses mœurs rétrogrades et étriquées prenait le dessus. Et très vite, elle m'accepta comme sa confidente. Très vite elle déchargea sur moi ses histoires de coucheries, ses mâles en rut... Moins je le supportais et plus elle se lâchait. Ma gueule devait lui inspirer confiance, je devais bien malgré moi présenter l'oreille attentive qu'il lui fallait.
Pourtant elle était trop maigre, sa face trop satisfaite, relevée. Mais je n'étais plus juge, juste apte à suivre, à l'écouter déblatérer ses conquêtes et ses chaleurs. Je ne parvenais pas à la provoquer, la surprendre.
Presque deux ans pour prendre du recul. J'avais fini par me faire excuser, éviter des soirées, pour ne plus avoir à souffrir ses petits jeux. Dans un grand moment de solitude, je me suis même fait retoiletter. Dans le quartier, je tombais dans une sorte d'anonymat.

La suite du récit semble pure invention tant que je n'ai pas réussi à dénouer ce qui sous-tend ces mots. Cette chienne ou moi – qui tombe dans un anonymat, qui refuse cet amour, vit recluse, invention, je n'ai pas traduit d'expérience identique, pas intimement.
La suite du texte est ce viol par deux chiens en pleine nuit dans un terrain vague, il a surgi sans que je puisse guider quoi que ce soit là encore.

Un soir, pour ne pas avoir eu le courage de la croiser, j'étais partie plus longtemps que d'habitude. J'ai enchaîné les kilomètres sans penser au retour. J'avais franchi toutes mes aires, je n'étais plus chez moi, sur mon territoire. Je trottinais puis marchais, sans repères. Assoiffée, j'étais en quête d'eau et prête à lécher n'importe quelle flaque pour apaiser mon gosier. Et c'est dans un terrain vague que je trouvai un vieux bidon abandonné. Relâchant ma garde, je ne flairai pas fondre sur moi deux bouledogues, qui m'envisagèrent sans aucune retenue. Je résistai quelque peu, de toute façon condamnée. Et ils s'acharnèrent sur mon arrière-train, comme deux fauves. J'avais cessé de les mordre dans le cou, ça ne changeait rien.
Après leur forfait, ils repartirent sans se retourner, trottant légèrement de travers, les testicules probablement mal redescendues. Je remontai mon jogging et me traînai jusqu'à un arrêt de bus, complètement perdue. Je ne ressentais même pas l'attente, le froid, rien. Il arriva, j'ignorais tout de sa destination, mais montai et pointai de ma gueule le ticket en direction du chauffeur. Celui-ci n'eut aucune attention en retour et je m'installai. Je jetai un œil, quelques hommes éreintés dodelinaient de la tête, après leur journée de travail, les uns, le visage bleuté devant leur portable, et d'autres, remplissant des cases de jeux sur leur journal. Je ne crois pas qu'ils m'aient même entrevue. J'étais incapable de mener une seule pensée à son terme, mais étrangement me remontaient sourdement les luttes que nous avions menées pour pouvoir vivre respectés dans cette société, pouvoir circuler librement sans n'être plus taxés de divagation, emprunter les transports en commun, s'attabler à une terrasse...

J'avais déjà écrit sur le viol, dix ans plus tôt, un jeune homme dans une soirée avait abusé de mon personnage narrateur, sorte de double bien entendu. Après l'acte, il s'était retrouvé seul chez lui, reclus, et pendant quelques secondes, il s'était surpris à léviter. J'avais rédigé cette nouvelle, Yuichi ou la lévitation du pantin famélique, pour un concours d'écriture que je n'emportais pas. J'avais été fortement inspiré par la lecture des Amours interdites de Mishima, fasciné par son style et par ce que je prenais alors pour de la perversité. J'ignorais déjà à l'époque pourquoi j'avais eu envie de décrire un viol. Ce n'est qu'aujourd'hui que je commence à comprendre mes motivations, après plusieurs secrets familiaux enfin percés. Tout semble pouvoir s'éclaircir a posteriori, à la fois mes envies d'écriture et ma vie sentimentale, mes rencontres, désirs, peurs... D'entrevoir tout cela est vertigineux, mieux vaut continuer à se perdre dans la vie et l'écriture...

Au détour d'une avenue, je reconnus un des quartiers jouxtant le mien et descendis au dernier moment. Je savais qu'il ne me restait que huit cents mètres avant de rejoindre mon réduit. La lune, en croissant très fin et arqué comme un crabe, perçait de temps en temps les nuages comme endormis. Je boitais péniblement jusqu'à chez moi. Rentrée, j'étais incapable de jeter mes habits et de me lessiver au vinaigre blanc, comme je l'avais projeté dans le bus, et me pelotonnai sur le tapis jusqu'au matin.
Vers onze heures, Chanel me réveilla, elle était passée pour me surprendre, elle qui d'ordinaire, ne venait jamais à l'improviste. Elle ne comprit même pas mon trouble, ne lut évidemment pas sur ma couenne écorcée, outragée, le dégoût de moi-même. Elle se gava de mes croquettes de céréales en m'abreuvant de ses sempiternelles réparties sur sa vie, plus creuse que jamais. Mais non, je ne l'écoutais pas bien, je goûtais ce qui restait de l'éclat de la lune dans ce ciel aveuglant et ce flot de paroles. Je n'avais pas fait attention à sa jactance, quelque chose avait changé. Ses jappements différaient. Elle répéta donc son événement de la veille, consciente et vexée de mon inattention, qu'elle finit quand même par remarquer. Elle l'avait rencontré au club, non, celui-ci était différent des autres, c'était un homme, pas un de ces caniches sans classe qui vous collent à la jambe, non, loin de là... Je tiquais ; c'est qu'elle ne se lança pas dans le récit de leurs frasques, elle tremblait des pattes à la gueule, frétillait sur place, répétant extatiquement son prénom « Roger Roger... ».

Je ne sais rien en fait. Pourquoi écrire ? Quelque chose me mène, la main traduit ce qu'elle peut. Les obsessions percent toujours, modèlent le squelette de mes intrigues impérieuses.

La dernière fois que je l'ai vue, c'était devant le toiletteur, elle en sortait, fraîchement nouillée, brushinguée à mort, corsetée dans un manteau robe rouge vif. Le présumé Roger lui avait passé une laisse noire strass du dernier cri, pinçant si joliment son fameux collier à pointes. Elle lui faisait fête, sautant sur ses pattes arrières chaussées de bottines dorées, dans l'espoir de lui lécher la main. Elle ne me remarqua pas, stoppée nette dans ma course. Il la chargea dans le coffre grillagé de sa voiture de course et démarra puissamment. Je la regardais s'éloigner, les pattes antérieures posées sur les croisillons, pleurnichant après son maître, et je repris mon slalom quotidien entre les crottes disséminées de mes congénères, finalement débarrassée d'elle.


Quand au contraire tout un roman s'écrit dans ma tête, quand tout semble en place, je bloque, je traîne, freine devant l'obstacle. Je ne peux suivre cette ligne, répondre à cette commande. Les mots savent. Et il nous faut attendre le signal.


jeudi 6 décembre 2012

Des baisers sur les cols

 
 
 
Le ciel a entr'ouvert sa chemise
sur sa poitrine
le froid y déposa son baiser
aux joues rosies
répondit la terre
par la pâleur
les esprits d'enfants
se décomposèrent en feuille
vierge éblouie
quelques bouts de doigts rouges
glissade étrange
pour regarder ces nouvelles
fidélités
crisser dans les yeux
  
  
  

mardi 4 décembre 2012

Des plaies enfermées

 
 
 
il y a, quelque matin
des coups de couteau
dans la peau des nues
grises qui laisse à voir
des hémorragies rouges
sur les poignets du ciel
qui donne envie de n'y rien
panser
 
 
  

lundi 3 décembre 2012

Des com-plaintes de la poésie

  
  
J'ai lu. On ne lit plus la poésie. Je lis. On ne lit plus la poésie. La poésie se meurt. Je n'y connais rien. Je suis d'accord. Presque. Pour mourir, la poésie doit vivre. La poésie se lit. D'abord. Mais pas seulement. Pas comme un roman. Ni une notice, un article. La poésie se lit d'abord. Puis la poésie se vit. Je crois. Lire, seul, c'est rester dessus. Ce n'est pas rentrer dedans. Dans le mot. La poésie se vit, car elle se ressent. Je crois. Je n'y connais rien. C'est ainsi que l'on dit « ça me parle », ou « je reste hermétique ». C'est que l'on a ressenti. On a vécu de l'intérieur. On a pris de notre humain, associé à l'humain des mots lus. On a associé une part de notre humain à une part d'humain du poète. Pas toujours celle à laquelle il s'attend. Il n'a plus de maîtrise, lorsque l'autre lit et vit. Pas toujours celle à laquelle on s'attend. On n'a pas la maîtrise, lorsqu'on lit et vit.

Ressentir, accepter de ressentir, c'est accepter d'être humain. C'est accepter une certaine profondeur, un gouffre aussi, dont on ne perçoit que rarement le fond. Je crois. Je n'y connais rien. C'est suivre un courant sans savoir naviguer, sans connaître ni escale ni débarcadère. C'est accepter ses parts d'obscurité et de lumière. C'est accepter de mettre ses parts d'obscurité en lumière, et ses parts de lumières en veille. Parfois. C'est autoriser un certain abandon de l'esprit, mais aussi l'effort de le suivre là où il va. C'est autoriser son regard à se poser sur la condition du monde, sur sa propre condition. Et être capable de lever les yeux. C'est regarder en face. Devant, derrière, les côtés. Dessous aussi. Sans savoir quoi comment où pourquoi etc... Mais le faire.

Ce n'est pas suivre un programme. C'est rassurant, un programme. C'est rassurant, regarder la vie d'autres à la télévicon. La misère des autres à la télévicon. Après, on l'éteint. Puis, les programmes, c'est dirigé. Il y a une ligne de conduite, un producteur. On sait où on va. On l'attend, le dénouement surprise. Il arrive à la 36ème minute, après la coupure publicité de la 22ème minute. Dans les épisodes de 45 minutes. Les programmes, c'est programmé, c'est guidé. Ils suivent le code. 1-0-1-0-1-1-1-0. Binaire. Puis la poésie, ce n'est pas télégénique. J'ai vu. « Pourquoi voulez-vous passer à la télévision, quel est votre but ? » « Pour être connu(e) ». Je vois. « C'est tout ? » « Quoi d'autre ? ». Le poète, ce n'est pas télégénique. C'est même antipathique. Ça fait poser des questions qui font mal au crâne. Ça fait sortir du code. 1-0-1-0-1-0-1-1-1-0. Ce n'est pas programmé. Ce n'est pas comme l'application ou le jeu console, le tout nouveau pour six mois. Qui font suivre au joueur le parcours, la bille, la balle, la carte, la mission, l'objectif. Ça demande réflexion, c'est bon pour les méninges. Selon le code.1-0-1-0-1-0-1-1-1-0. Atrophie cérébrale.
  
La poésie, c'est abandonner le programme, les programmations. C'est quitter un peu d'immédiat, pour un autre type d'immédiat. Pas cet immédiat qui annihile l'esprit, sa pensée. Cet immédiat facile, accessible, immédiat. Éphéméride de plaisirs. Effeuillage inconséquent, rapide. Rapide. Sans trace. Mais un immédiat rencontre du troisième type. Celui qu'on veut oublier. Entre l'auteur, soi, et l'intérieur de soi. Celui qu'on n'aime pas entendre causer. Celui qui est proche de « Conscience ». Celui qui en est cousin. Celui qui en est une clef. Qui habite à sa porte. Je crois. Je n'y connais rien. C'est un immédiat qui relie. Indirectement. Sans nécessité d'inscription en réseau social. Celui qui relie au monde. Aux autres. Ce faisant, à soi-même. En dehors des deux traditionnelles fois par an. Téléthon et Enfoirés. Gratuitement même. Cet immédiat ne rançonne pas l'individu et son dedans pécuniairement. Il se fait payer chair. Et il ne rapporte rien. Matériellement. Alors de là à acheter de la poésie. De là à acheter un peu de dedans. Un peu de richesse intérieure. Un peu de profondeur dans le noir intérieur. Qui ne se verra dehors... Je crois. Je n'y connais rien.

J'ai lu. On ne lit plus la poésie. Je lis. On ne lit plus la poésie. La poésie se meurt. Je n'y connais rien. Je suis d'accord. Presque. Pour mourir, la poésie doit vivre. La poésie se lit. D'abord. Mais pas seulement. La poésie se vit. On ne vit plus assez. Alors. On ne vit plus assez véritablement. C'est plus facile. En surface. Sans être en face. On n'y met plus le temps. De vivre profondément. C'est plus facile. Je crois. Je n'y connais rien. Du dedans. De l'intérieur. Du dehors. Des mots. Du binaire. De l'immédiat. Des mots. De leur usage. De la poésie. Je crois.

Parce que parfois, je croîs aussi un peu. Et d'autres fois, je vois aussi un peu. Et la poésie n'est pas loin. Dedans. Derrière. Dessous. A côté. Dehors. Certainement pas assez. Certainement. Sûr.