Je voulais causer de
ceux qui croisent la mer pour la première fois, et de ceux qui à la
fréquenter ne la voient plus. J'avais cette idée du va et du vient,
de ceux qui vont et viennent, et pensent qu'elle n'est que cela, un
va et vient. Qu'ils ne la voient que comme cette grande étendue
rendue à la lune, à son attraction. Qu'ils ne s'en émerveillent
qu'au premier regard, et la maudissent d'y être confrontés chaque
jour au front, en front, avec sa respiration entêtante, tempêtante.
J'avais cette idée que cet élan latéral n'est pas que cela, et que
la vision que l'on en a change avec le temps, qu'il y a une sorte de
spirale ascendante, où ce mouvement a-priori linéaire ne l'était
pas, mais bien que chaque jour en apporte un quelque chose, un
sentiment de plus. Je me suis aperçu qu'il en était de même avec
la terre. Je veux dire, la terre que l'on travaille. Que ces travaux
des champs se répètent, chaque saison, le labour, le semis, la
pousse, la récolte, le labour, le semis, la pousse, la récolte, le
labour... Comme la mer laboure à chaque montée, sème ses doigts
dans le sable, le pousse et ses murmures, puis se retire laisser à
l'homme gagner du pied et de l’œil l'estran et sa frontière.
Cette idée comme la mer
et comme la terre a germé longtemps, jusqu'à ce que je comprenne
que le rapport que l'on en avait était un rapport d'amour, qu'il y
avait dans ce mouvement apparemment binaire autre chose qu'une
mécanique. Le premier franchissement est celui du cycle, où l'on
accorde au mouvement une circularité, qui poursuit néanmoins ce
rapport sur le plan horizontal. Celui-là a acquis ce qu'il devait
mais n'a pas pénétré encore le sentiment et son être. Il n'y a
plus qu'un pas. Et une persévérance. L'amour diffère lui aussi
dans le temps, sa forme meut en même temps qu'il va et vient, et
chaque retour apporte un peu plus. Certes il ressemble à ce qu'il
était mais n'est plus le même, comme la mer et la terre à
l'achèvement du cycle. Et celui qui le ressent et a suivi ce
mouvement, à y être attentif, s'est accru lui aussi. Il y a quelque
chose de plus grand à l'intérieur de lui, qui ne porte pas
réellement de mots, ni de silences.
L'amour change, avec le
temps, comme la mer et la vision que l'on en a, l'amour change, avec
le temps, comme la terre et la préhension que l'on en a. Ils se
meuvent d'un mouvement qui semble si simple qu'on ne le voit pas,
qu'on ne le voit plus. Il demande pourtant à ce que l'on s'y penche
et le voit, pour grandir avec. Ainsi en vieillissant, peu à peu, on
comprend toujours un peu mieux le murmure de la mer, et son silence,
qui racontent à l'homme le moyen et la beauté d'aimer. Qui
racontent à l'homme le moyen et la beauté de s'élever.