C'est
un cas bien étrange que celui d'Alembert Leleu. L’Institut a été
alerté par l’Hôtel-Dieu, qui m'a aussitôt mandaté. Nous avons
le jour même transféré le sujet en nos locaux, cintré d'une
camisole. Non pas qu'il fût dangereux pour autrui, c'était surtout
pour sa propre sécurité. A vrai dire, nous n'avons pu observer le
sujet que quelques jours, son état étant plus avancé que les
symptômes ne le laissaient paraître.
L'Hôtel-Dieu
nous a transmis son dossier médical, qui commença à son admission,
et ses effets personnels, quelques loques maigres, une paire de
binocles aux verres teintés, un gousset arrêté, une blague à demi pleine, une pipe en porcelaine, de facture visiblement flamande, une canne au pommeau sculpté et sobre et un carnet, qui permit son
identification. De traces
d'un quelconque passé, d'une adresse, nulle part. Son dossier narre
des réactions continues de prostrations et d'asthénie, précédées
de crises pendant lesquelles, d'après les descriptions du personnel
soignant, le sujet se maintenait la tête, subissant des sortes de
convulsions partant du crâne qui secouaient épisodiquement
l'ensemble du corps. Ses propos, lorsqu'il y en avait, étaient
incohérents. Le sujet était grand, maigre, d'une pilosité
légèrement excessive. Sa dentition soignée nous indique qu'il
n'appartenait pas à la classe pauvre. Mais rien d'altier dans la
tenue qui ne laissait présupposer quelque aisance récente. A vrai
dire, il n'y avait a-priori là rien de particulièrement
spectaculaire. Nous avons en nos locaux bien des sujets beaucoup plus
expressifs que lui. Mais j'y viens.
Je
suis Alembert Leleu. Enfin je crois, encore.
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