jeudi 19 septembre 2013

Un tour dedans, revu & corrigé




Il s'y ferait presque, aux marais. Après tout, de l'eau, c'est de l'eau, la pluie ne le dérange pas trop, surtout après ce soleil. Après tout c'est de l'eau. Au crépuscule il n'y a plus personne ici, il y a le monde, et c'est bien. Il peut sortir et le chien.
Ils ont commencé il y a quelques semaines. Ils sont un peu pareils, ils sont pareils, lui canin. C'est exacerbé dans son animalité. Là, comme ça, il n'y a aucun danger, c'est son doigt, son œil. Et ils y vont. Ils y vont, seulement il suffit d'un autre d'un congénère canin, et c'est la guerre. La bataille, la charpie, dans des nues de poils. On n'y peut rien, c'est comme ça, de nature, ça dégénère. Il s'y fait, le maître. Le chien ne supporte pas l'autre. Il aurait préféré que ça lui soit égal. Du moins qu'il fasse semblant, comme lui. C'est un chien. Ça lui aurait évité de lui démettre l'épaule, percer l'tympan, chaque fois que quelqu'un a oublié de rentrer quand ils sortaient. Il en a pris parti, de n'être pas politiquement, même si parfois c'est excessif. Il a le mérite de rester entier dans son enveloppe de trente kilos. C'est bien cela, sa moitié en balance au bout d'une corde, quelques poils en plus. Une nature excédante. Ils ne se lâchaient pressés la grappe qu'au cavalier.
Quand ils ont vérifié que personne ne restait, ne pouvait y rester, c'est parti pour lui. Le vrai départ. Plus de laisse jusqu'au retour. A cette heure-ci, c'est lapin borgne et héron accoudé au vent. Ils franchissent, et le chemin schiste rouge. Le chemin de schiste rouge qui ne leur appartient est à eux. Il repasse son nez sur toutes les traces du jour en se souciant de celles de la veille, tandis que l'homme repasse les ordres du jour et ceux de demain au fer à souffle. C'est entre reprendre et reprise. Il se fait trois fois la promenade dans ses allers et retours, et l'homme en revient. La pluie s'est remise sur les dos noirs des terrils, l'épine s’embrunit de gris-mauve. Demain matin, elle sera la brume qui monte des champs et des tourbières.
Tant que le clope ne prend pas l'eau. Sa chaleur remonte le long des lèvres, un baiser, jusqu'aux extrémités de la fourrure. La fumée de s'aplatir sous le rebord du chapeau, avant de se faire happer par un jappement d'air. Quand ça souffle fort, ça siffle. Le trot du chien. La locomotive chemine en dehors des rails. Sans les rails nous avançons. Ça fait quelques semaines, ils oublient le quai, le cavalier. C'est un peu plus tard, un peu plus froid, il sort sans la laisse.
La première fois, il n'a pas compris, n'y croyait pas, marchait d'un très beau pas, juste comme il faut. Depuis il a compris, et triche déjà un peu, dépasse d'une tête. Enfin y croit. Dans sa joie se fait tous les poteaux, fait peur aux coureurs endimanchés du mardi et des autres jours. Ils prennent le pied, les mains pleines. Parfois il se dit, entre deux bonds, qu'il aimerait bien laisser l'oppression du crâne dans la vase mitoyenne, où certainement elle ne serait pas tant dépaysée. Avec une pincée de la certitude des doutes qui collent aux basques avec la boue sur l'absence de guêtres.
Il voit bien les lentilles vertes agglutinées jusqu'aux bords des yeux, si proches qu'elles font des tâches noires. Mais il n'essaie même pas. Il sait que ça prendra encore, alors lui il lui délaisse à la porte le licol, tant qu'il tient encore. Tant qu'il tient encore à sa voix, à la voix qui ordonne « reste en vie, prends ton pied entre les pattes ». La truffe humide, l'eau c'est bien de la vie, et il croit toujours que celle en tête avec la pluie ruissellera de ses oreilles. Se sent si bien à chacun des pas sur lequel il appuie de tout son poids de vide. Il se prend à rêver alors que sans sa laisse, il n'y pas que lui, l'animal, il y a lui aussi qui se promène sans laisse. Que tant que le chien halète au dehors, il s'allaite des espaces aérés d'entre les bordures, que sa barbe ne soit pas le barbelé des céphalées. Qu'il ne serait pas décent de se tailler au rasoir des tempes jusque dans le crâne.
Pourquoi toujours vouloir remplir le vide des espaces ? Il espère sans espoir. Il espère ce qu'il faut. Cela même, on peut bien y arriver, arriver ce qu'il faut faire. Ce qu'il faut pour n'être pas comme lui, mais chien fidèle à lui-même, inconditionnellement à sa condition d'imbécile inadapté. Cependant Il voit sa bête soumise à sa propre hérédité qui se retourne en lui, se retourne contre la main qui le nourrit. Comme lui se retournait contre la bouche qui le nourrissait. Lui, un autre encore. C'est vrai, les mains donnent et reçoivent. Et de l'autre côté il y a toujours une gueule pour recevoir ou donner. Il se remémore ce même repentir dans l'haleine d'après avoir mordu. Cette même haleine du renfermé qui vient de loin dedans. Même si l'un est chien, et l'autre homme, ils n'ont qu'un devenir ancestral.
Ils ont commencé à retravailler sa docilité dans la liberté. Il essaie d'y abandonner sur la route,avec les bagnoles qui passent, le son interne et rond de la gomme sur le macadam, les branches mortes des synapses dans les marais. Et la liberté conserve ses distances de sécurité. Elle évolue le long d'une laisse invisible, cérébrale. Il y a toujours quelque chose qui tient l'être, conventionnellement impalpable, contracture presque contractuelle qui ne nécessite pas de signature. La signature est d'homme, sans mécanique. C'est pour se rassurer qu'aux animaux sont prêtés des sillons d'états d'âmes.
S'il y a similitude d'attitudes, ce n'est qu'un crédit, une fausse largesse, un renvoi. Il n'y a que le déterminant du nom et la marge à créer en déchirant. Ainsi marchant il remonte la mécanique de deux histoires qui se rejoignent. Et démontent sa tête, laissant le détachement des pièces s'entasser contre les parois. A chaque pas, cliqueter cliqueter cliqueter.


 

1 commentaire: