Il
s'y ferait presque, aux marais. Après tout, de l'eau, c'est de
l'eau, la pluie ne le dérange pas trop, surtout après ce soleil.
Après tout c'est de l'eau. Au crépuscule il n'y a plus personne
ici, il y a le monde, et c'est bien. Il peut sortir et le chien.
Ils
ont commencé il y a quelques semaines. Ils sont un peu pareils, ils
sont pareils, lui canin. C'est exacerbé dans son animalité. Là,
comme ça, il n'y a aucun danger, c'est son doigt, son œil. Et ils y
vont. Ils y vont, seulement il suffit d'un autre d'un congénère
canin, et c'est la guerre. La bataille, la charpie, dans des nues de
poils. On n'y peut rien, c'est comme ça, de nature, ça dégénère.
Il s'y fait, le maître. Le chien ne supporte pas l'autre. Il aurait
préféré que ça lui soit égal. Du moins qu'il fasse semblant,
comme lui. C'est un chien. Ça lui aurait évité de lui démettre
l'épaule, percer l'tympan, chaque fois que quelqu'un a oublié de
rentrer quand ils sortaient. Il en a pris parti, de n'être pas
politiquement, même si parfois c'est excessif. Il a le mérite de
rester entier dans son enveloppe de trente kilos. C'est bien cela, sa
moitié en balance au bout d'une corde, quelques poils en plus. Une
nature excédante. Ils ne se lâchaient pressés la grappe qu'au
cavalier.
Quand
ils ont vérifié que personne ne restait, ne pouvait y rester, c'est
parti pour lui. Le vrai départ. Plus de laisse jusqu'au retour. A
cette heure-ci, c'est lapin borgne et héron accoudé au vent. Ils
franchissent, et le chemin schiste rouge. Le chemin de schiste rouge
qui ne leur appartient est à eux. Il repasse son nez sur toutes les
traces du jour en se souciant de celles de la veille, tandis que
l'homme repasse les ordres du jour et ceux de demain au fer à
souffle. C'est entre reprendre et reprise. Il se fait trois fois la
promenade dans ses allers et retours, et l'homme en revient. La pluie
s'est remise sur les dos noirs des terrils, l'épine s’embrunit de
gris-mauve. Demain matin, elle sera la brume qui monte des champs et
des tourbières.
Tant
que le clope ne prend pas l'eau. Sa chaleur remonte le long des
lèvres, un baiser, jusqu'aux extrémités de la fourrure. La fumée
de s'aplatir sous le rebord du chapeau, avant de se faire happer par
un jappement d'air. Quand ça souffle fort, ça siffle. Le trot du
chien. La locomotive chemine en dehors des rails. Sans les rails nous
avançons. Ça fait quelques semaines, ils oublient le quai, le
cavalier. C'est un peu plus tard, un peu plus froid, il sort sans la
laisse.
La
première fois, il n'a pas compris, n'y croyait pas, marchait d'un
très beau pas, juste comme il faut. Depuis il a compris, et triche
déjà un peu, dépasse d'une tête. Enfin y croit. Dans sa joie se
fait tous les poteaux, fait peur aux coureurs endimanchés du mardi
et des autres jours. Ils prennent le pied, les mains pleines. Parfois
il se dit, entre deux bonds, qu'il aimerait bien laisser l'oppression
du crâne dans la vase mitoyenne, où certainement elle ne serait pas
tant dépaysée. Avec une pincée de la certitude des doutes qui
collent aux basques avec la boue sur l'absence de guêtres.
Il
voit bien les lentilles vertes agglutinées jusqu'aux bords des yeux,
si proches qu'elles font des tâches noires. Mais il n'essaie même
pas. Il sait que ça prendra
encore, alors lui il lui délaisse à la porte le licol, tant qu'il
tient encore. Tant qu'il tient encore à sa voix, à la voix qui
ordonne « reste en vie, prends ton pied entre les pattes ».
La truffe humide, l'eau c'est bien de la vie, et il croit toujours
que celle en tête avec la pluie ruissellera de ses oreilles. Se sent
si bien à chacun des pas sur lequel il appuie de tout son poids de
vide. Il se prend à rêver alors que sans sa laisse, il n'y pas que
lui, l'animal, il y a lui aussi qui se promène sans laisse. Que tant
que le chien halète au dehors, il s'allaite des espaces aérés
d'entre les bordures, que sa barbe ne soit pas le barbelé des
céphalées. Qu'il ne serait pas décent de se tailler au rasoir des
tempes jusque dans le crâne.
Pourquoi
toujours vouloir remplir le vide des espaces ? Il espère sans
espoir. Il espère ce qu'il faut. Cela même, on peut bien y arriver,
arriver ce qu'il faut faire. Ce qu'il faut pour n'être pas comme
lui, mais chien fidèle à lui-même, inconditionnellement à sa
condition d'imbécile inadapté. Cependant Il voit sa bête soumise à
sa propre hérédité qui se retourne en lui, se retourne contre la
main qui le nourrit. Comme lui se retournait contre la bouche qui le
nourrissait. Lui, un autre encore. C'est vrai, les mains donnent et
reçoivent. Et de l'autre côté il y a toujours une gueule pour
recevoir ou donner. Il se remémore ce même repentir dans l'haleine
d'après avoir mordu. Cette même haleine du renfermé qui vient de
loin dedans. Même si l'un est chien, et l'autre homme, ils n'ont
qu'un devenir ancestral.
Ils
ont commencé à retravailler sa docilité dans la liberté. Il
essaie d'y abandonner sur la route,avec les bagnoles qui passent, le
son interne et rond de la gomme sur le macadam, les branches mortes
des synapses dans les marais. Et la liberté conserve ses distances
de sécurité. Elle évolue le long d'une laisse invisible,
cérébrale. Il y a toujours quelque chose qui tient l'être,
conventionnellement impalpable, contracture presque contractuelle qui
ne nécessite pas de signature. La signature est d'homme, sans
mécanique. C'est pour se rassurer qu'aux animaux sont prêtés des
sillons d'états d'âmes.
S'il
y a similitude d'attitudes, ce n'est qu'un crédit, une fausse
largesse, un renvoi. Il n'y a que le déterminant du nom et la marge
à créer en déchirant. Ainsi marchant il remonte la mécanique de
deux histoires qui se rejoignent. Et démontent sa tête, laissant le
détachement des pièces s'entasser contre les parois. A chaque pas,
cliqueter cliqueter cliqueter.
J'aime...
RépondreSupprimer