lundi 11 février 2013

Du coffre

  
  
  
Après avoir fait les comptes, nous les séparions. Le banquier n'a rien compris. Puis je lui ai dit que le chien était en pension. Impossible de le prendre avec moi là-bas. Ce ne serait que pour une dizaine de jours. Normalement. Puis après un café froid, je pris la route.

Il m'avait dit, dès que ce sera les vacances, tu pourras venir. Tu te reposeras. Il y a une chambre d'ami à l'étage. Nous ne serons pas là la journée, tu seras tranquille. Ça te fera du bien. Oui, de toute façon, il fallait bien. Oui, marre de poser par-ci par-là. Puis près de six mois, un peu plus ou un peu moins, que le corps ne dormait qu'une poignée d'heures par nuit. Où le corps puise tu ne sais pas trop où, parce que de toute façon t'es à peine dedans. Parce que de toute façon tu n'es qu'une peine qui ne comprends plus rien. Qui ne sait plus quel assaut exactement tu repousses et quel assaut s'élance encore. Tu ne les vois même plus arriver. Après l'époque des sièges, c'était celle de l'exil. Oui, de toute façon, il fallait bien, là ou ailleurs, et c'était plutôt bien, là.

Le sac était déjà prêt. Depuis quelques semaines. Pas un sac, un coffre. Celui de la bagnole. Voir d'un coup d’œil ce qui reste, ce qui te reste de dix ans d'élévation du fond d'un trou jusqu'à la fierté de quatre murs. C'est une image gueulante, d'un coup d’œil, considérer le désordre du tas, porter ton tas de ruines à l'arrière, et être bien sûr de sa réalité. Dans le dos à chaque fois que tu es au volant.

Pas d'autres options, où l'épuisement physique se révèle être un bénéfice, en fin de compte. Impossible d'embarquer le sac à dos qui n'attendait pourtant que toi et de se barrer à pied. En mode « lâcher-prise définitif ». Mais quelles forces pour errer à pied ? Il y avait au moins de la lucidité là-dessus, le physique n'aurait pas permis d'assurer la distance. Au moins celles de couvrir les kilomètres au volant, la force et la lucidité, je veux dire.

Pour l'avoir empruntée plusieurs fois, je peux dire que cette route me plaît. Un peu moins entre Caen et Avranches, où, ben, c'est comme ça. Les kilomètres défilèrent, laissant bien le temps de voir passer, sans véritablement être capable de le certifier, ce qui était perdu, en perdition, derrière soi, le paysage, les bagages, les échappements, ce genre de conneries et celles dont on ne voit plus le bout du nez, ou qu'on ne peut plus. Passé le tiers du parcours, bien moins de scrupules, la discographie a déjà bien tourné dans le lecteur, pour accompagner l'écrasement, le porte-gobelet accueille une 33 cl fumée. Pas sûr qu'il y ait de bonnes bières, là-bas, alors, le coffre, il est un peu frigo, aussi.

Ce qui comptait, c'était tenir le trajet. Se nourrir en route, d'une batterie de sandwichs sculptés dans le pain de mie, à la plastique froissée, taillée de drapés qui leur permettent de ne pas s'émietter complètement avant ingestion. Mais quand même. Un arrêt à Rouen. Le plateau qui s'éventre sur la veine ouverte de la Seine. Ses larges rives qui amènent spontanément à courir à droite, les clochers comme nord de boussole. L'occasion de prendre les premiers clichés, frayer avec la futilité. La première lueur de légèreté dans la tonne de plomb. Trop éthérée pour être réellement perceptible sur le moment, mais en reculant bien, réelle. C'est ça, caresser un peu le plomb.

Et l'heure qui passe et une autre et le temps qui les suit et celui de se remettre en route. Pour six, ça devrait être bon. Le reste d'une traite, sauf à l'aire dite du Mont Saint-Michel, faut être équitable. Pour la vessie. Avec la route, on oublie un peu le reste. Il est gravé physiquement, on le sent encore, mais ce rouleau noir qui se déroule plutôt que de compresser dé-focalise, ruse. Jusqu'à ce que la répétition, macadam, compteur, frein, macadam, compteur, heure, macadam, jauge, nécessite ce qui reste de l'esprit pour n'être plus que ça, et cette attente qui ne cherche qu'à satisfaire sa faim dans la fin.

Je sais pas pourquoi, ton département me fait toujours quelque chose, qui suscite une sorte d'avidité, où tu lances tes yeux toujours plus loin pour voir toujours un peu plus. J'ai bien compris qu'il fallait les accompagner, que ce n'est que là qu'on perce quelques secrets, ou se contente au moins de buter dessus. Mais ce sera toujours différent que de se buter sur certaines réalités. C'était un peu prévu. Fuir seul un peu plus le réel, ou plutôt le laisser se réordonner dans la caboche, en allant se buter sur le plus de rivages possibles par là-bas. Là-bas où il n'y a plus personne. Là où plus aucun téléphone ne peut te blesser de messages. Là où au moins tu sais où mener la bagnole, mener ta couenne et ses pieds. Sans avoir besoin d'ouvrir ta gueule. Oui, laisser un peu le crâne se refermer.

Puis enfin tu descends. Ça me semble très long, presque autant que les heures de routes. C'est drôle tout de même, venir chercher le repos dans un collège. Ça m'en a fait une, d'impression ! Mais y'a pas, tu avais raison. Puis ça aussi. Tu m'accueilles en ami, et tu me laisses partir un peu en père. Avec du sommeil pour un mois. C'est un peu couillon. Parce que j'ai pas envi que ça change tant en fin de compte. D'avoir un si bon ami. Parce que je sais que je suis un bien mauvais fils, et ça me ferait bien chier que ça gâte ça. D'autant que t'es plutôt un bon papa... T'es de ceux qui savent faire voir les trésors. Même si je savais déjà qu'ils n'étaient pas dans mon coffre.
  
  
  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire