Il conserve toujours les
dernières feuilles des carnets. Il préserve toujours quelques
feuilles du bûcher. Pour les « au cas où », pour le
confort de savoir qu'il en restera dans la petite boite en bois. Le
temps maigre, étiré, les a réclamés. Il a du aller chercher les
carnets aplatis, désarticulés, au fond de la boite sculptée. Il a
du se décider à faire disparaître les derniers espaces à noircir
les blancs. Puiser dans la réserve des plis où il n'y a déjà plus
rien. Il appuie dessus du dos de la main, lisse lentement la
virginité des rides, puis enroule des doigts. Au bout des doigts des
plumes noires et blanches, blanches des faisceaux évacuées du gris,
noires à inscrire leurs empreintes. Lente distillation du gris. Elles font tourbillonner les
poussières d'eau. Des poussières d'eau en grains instables, en
grains de sable. Qui miment de micro-dunes
qu'un râle, une expiration déplace. Alors que le pied lui
s'embourbe, s'y enlise. En attendant, les arbres tournent le dos.
Il
conserve toujours les dernières feuilles des carnets. Comme une
marge. Comme une façon de se dire que ce n'est pas fini. N'était
pas. Seulement le temps maigre les réclame. Il les déroule, les
extrait des carnets pour tenir chaud. Les unes contre les autres
plaquées en couche. Seule, la luminosité transperce. Ensemble,
elles sont comme une fenêtre opaque. Et qui protège. Qui donne
l'illusion d'une protection. Le blanc reste mais reste noir. Tandis
que les rues se costument en plages. En plages satellites, un peu
lunatiques, lunaires. Mais sans suspension. Où tout retombe froidement, sans
résidence d'âme ni réelle gravité. Sans résidu ni résistance...
Rien ne tient sur les plumes, les poussières d'eau glissent à
tremper les feuilles. Rien ne tient plus sur les feuilles, les
particules de noir auréolent, s'éthérent et marquent, essaient.
S'essaiment. De manière éphémère. Avant de voleter, comme les
petits grains de feu mort des dernières feuilles du carnet.
Il
conservait toujours les dernières feuilles des carnets.
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