lundi 11 mars 2013

Du syndrome de Diogène



 
          Il conserve toujours les dernières feuilles des carnets. Il préserve toujours quelques feuilles du bûcher. Pour les « au cas où », pour le confort de savoir qu'il en restera dans la petite boite en bois. Le temps maigre, étiré, les a réclamés. Il a du aller chercher les carnets aplatis, désarticulés, au fond de la boite sculptée. Il a du se décider à faire disparaître les derniers espaces à noircir les blancs. Puiser dans la réserve des plis où il n'y a déjà plus rien. Il appuie dessus du dos de la main, lisse lentement la virginité des rides, puis enroule des doigts. Au bout des doigts des plumes noires et blanches, blanches des faisceaux évacuées du gris, noires à inscrire leurs empreintes. Lente distillation du gris. Elles font tourbillonner les poussières d'eau. Des poussières d'eau en grains instables, en grains de sable. Qui miment de micro-dunes qu'un râle, une expiration déplace. Alors que le pied lui s'embourbe, s'y enlise. En attendant, les arbres tournent le dos.

          Il conserve toujours les dernières feuilles des carnets. Comme une marge. Comme une façon de se dire que ce n'est pas fini. N'était pas. Seulement le temps maigre les réclame. Il les déroule, les extrait des carnets pour tenir chaud. Les unes contre les autres plaquées en couche. Seule, la luminosité transperce. Ensemble, elles sont comme une fenêtre opaque. Et qui protège. Qui donne l'illusion d'une protection. Le blanc reste mais reste noir. Tandis que les rues se costument en plages. En plages satellites, un peu lunatiques, lunaires. Mais sans suspension. Où tout retombe froidement, sans résidence d'âme ni réelle gravité. Sans résidu ni résistance... Rien ne tient sur les plumes, les poussières d'eau glissent à tremper les feuilles. Rien ne tient plus sur les feuilles, les particules de noir auréolent, s'éthérent et marquent, essaient. S'essaiment. De manière éphémère. Avant de voleter, comme les petits grains de feu mort des dernières feuilles du carnet.

          Il conservait toujours les dernières feuilles des carnets.


 

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