La première fois c'était
aux caisses d'un Mammouth je n'ai pas compris de suite la sueur dans
le dos les huées dans les yeux les entrailles qui coulaient d'entre
les cuisses jusqu'aux chevilles collaient aux jambes du pantalon les
huées dans tous ces yeux l’écœurement d'un huitième verre
d'alcool dans un corps de sept ans. Il fallait partir et vite. J'ai
supplié ma mère de retourner à la voiture jusqu'à ce qu'elle
cède, laissant mon père régler la subsistance hebdomadaire en
m'invectivant. Je crois que tout a commencé lors de cette fin
d'après-midi.
Je me demande si cela
tient à la génération. X, Y, un truc comme ça, pas de
reconnaissance ni vraiment de compréhension pour l'une ou l'autre.
Des questions d'époques surtout. J'appartiens surtout à la
génération qui a grandi avec « une télécommande à la
portée de main ». Les copains voyageaient dans des mondes en
2D sur des super-nes. Une génération zapping, un monde plat, en
somme. Cette génération qui quinze ans plus tard ne se définit
plus essentiellement par sa profession. Qu'il a du mal à décider,
d'ailleurs. La première vraie génération à ressentir le
contre-coup des années glorieuses pour maturer dans les années
glorioles. Celle qui assumera le papy-boum. Celle pour qui bosser
n'est pas surtout qu'une contingence intrinsèque, qui soit connive,
soit permet de s'adonner à l’épanouissement personnel. Un habile
mélange d'individualisme et de quête de satisfaction plus ou moins
merchandisée. Parce que ça au moins ça n'est pas vendu, c'est
éduqué comme une marche inéluctable. L'évolution technique abonde
dans le sens. Heureux celui qui est à la pointe. La pointe de tout,
surtout si elle embroche des billets. Dans ce marche ou crève, j'ai
même fini par adopter la bécane. Ne pas être totalement largué.
Déjà on lui a substitué d'autres artefacts de connectivité
accéléré, un nouveau bracelet électronique au poignet. C'est
cela, il faut aller vite. A grand frais, peu importe le prix du
pétrole, la dette du plastique. La vie se connecte, t'en es. Sinon,
t'es zappé.
Non, je ne reconnais ni
l'époque, ni la génération. Je les noie dans le brouillard pour
voir clair.
J'entretiens des
brouillards depuis longtemps. Par nécessité. Je les fais évoluer
parce que je vieillis. Ils vieillissent, ou pas, avec moi. On adapte,
ou on crève. Ils sont une façon d'accepter le monde, de pouvoir le
regarder, même en face, malgré la brume. Et dans ce brouillard je
marche et je marche. Ce n'est que la distance qui permet de, mais pas
de s'aveugler. Marcher de plus en plus loin et augmenter la distance,
le recul. Et pourquoi ? Parce qu'à bientôt une moitié de vie,
selon ce que laisseront les poumons, je n'ai fait que marcher, sans
jamais parvenir à le faire droit. Je m'amuse avec cette image de
brouillard depuis quelques semaines, c'était tiède et douillet
après les mois d'inconfort. Summum, être capable nommer ce nouveau
cap. Ça donne du pouvoir, donner un nom. Puissance du Verbe !
Paradoxalement plus je
marche plus je vois, même si la balade répète, là où on dirait
qu'il n'y a (plus) rien à voir. « Elle est ennuyeuse, la
solitude. Il n'y a rien voir car rien ne bouge. » Les images
n'y sont pas les mêmes. Le mouvement n'adopte pas la même vitesse.
Il n'est pas question là de zapper
Je me suis aperçu que je
marche depuis des années. Je marchais déjà avant les chasses de
Mammouth, son dégraissage raté et après et ensuite je n'ai fait
que ça. Je dois avoir quelques tours du monde délébiles sous les
pieds, à l'image des empreintes que j'ai laissées. Que je
laisserai, aussi. Et plus je marche et je croise, parce que forcément
je croise, et pire, je vois, plus je trouve mon compte là où il n'y
a ni génération ni X ni Y ni zap ni Z ni série. Que les épisodes
des pas qui s’enchaînent sans coupures pub que celles que des
générations de crétins s'acharnent à amonceler sur les bas côtés
de leur air « j'étais ici, s'est mon pack de bière ma
bouteille de Jack Daniel's ma boite à pizza mon sommier à latte ».
Et ils lattent une terre qu'ils ne sont plus capable de regarder, ni
même de faire le rapport un pied de houblon et la canette qu'ils
passent par la fenêtre. Le monde est beau, pas trop longtemps, à
travers une fenêtre. Et on me pointerait parce que je cultive des
brouillards ?
Je me suis aperçu que j'aurai beau marcher, j'irai jamais assez loin qu'il le faut pour
éviter tous ces yeux nauséabonds. Que tu peux leur causer avec
plein de mots, leur richesse ne se trouve pas dans le vocabulaire
mais dans le palpable. Ça ne se saisit pas, un mot. Ça ne se touche
pas, à peine si ça touche et encore p'tit con c'est de l'affection
connard c'est de l'amical. Puissance du Verbe... Ce que toi tu
possèdes ils l'envient et cherchent un moyen de l'obtenir. Tu
deviens un rival un obstacle une violence ouverte à leur dénuement.
Et la destination de leur propre violence. Ou ils ne le comprennent
pas se méfient ont peur finissent par haïr. Tu deviens un embarras
un danger une violence insultant leur confort assis semi-allongé. Et
la destination de leur propre violence. Tu la sens ? Elle
t'accompagne une habitude même plus un rituel, il n'y a pas de
sacré, plus qu'un culte.
Nous consommons des
produits finis sans plus nous interroger sur le pourquoi du comment
de la provenance ce que ça coûte de sueur de terre et de poussière
d'hommes comme un dû à la monnaie, tant qu'on en a ou que ça en
rapporte. La nouvelle psalmodie combien ça coûte plutôt que
comment ça coûte. Parce que la main droite tient sa bourse toujours
moins lourde que ses bourses et que la main gauche zappe pour que ça
aille vite. Faut rester connecter. Nous sommes de là des produits
finis.
C'est lorsque que tout
est coupé que je le suis. De la voûte plantaire de l'épine dorsale
des réseaux synaptiques. J'en arriverai peut-être pas à faire mon
beurre faucher mon blé planter mon tabac, je suis d'une génération
X ou Y ou un truc comme ça. Je me console en en ayant goûté les
saveurs, les vraies, je veux dire, et ses sueurs. Il n'y a rien à
léguer au monde, on s'arrange déjà avec le legs du monde lui-même.
On sur-invente juste et le relègue en poubelle. Le brouillard est un
tri dans lequel creuser un sillon. Son propre sillon, comme une ombre
qui passe et qu'on oublie dans la rétine d'un autre. Dans lequel il
peut se prendre les pieds.
Un sillon par une marche
comme culture récolte transformation. Et profite et partage. Et
profit peu, de quoi les prochains semis à valeurs ajoutés hors
taxes. Car sais comment coûte plus que combien. Je marche pour n'être pas un produit fini. Je marche comme
écrire suer évacuer cette indicible nausée qui me poursuis depuis
l'âge des Mammouths.
extrait d'un travail (?) en cours
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