lundi 18 juillet 2016

Des gens de peu





           Nous sommes des gens de peu. Des gens de peu de voix, de peu de paroles. De peu d'expansion ou d'éclats dans la voix. Des gens de peu de conversation, de peu de position. De peu de compliments ou d'attouchements. Des gens de peu de vivacité, de peu de spontanéité. De peu d'amitiés.
           Les gens de peu sont souvent entrevus dans l'inattention. On en attache peu d'importance. Ils ont peu de prise. Cependant c'est ce peu qu'est l'importance. Ce peu est une conviction. Ce peu est la conviction du simple.
           Depuis des mois qui ont fait des années, nous avons préparé l'événement avec la conviction de ce peu. Nous avons patiemment collecté, accumulé et façonné chacun de ces peu, petit à petit, un peu chaque jour. Nous y avons mis un peu de monnaie, un peu de sueur, un peu de nous, de plus en plus ces derniers mois. Nous l'avons fait dans l'esprit que nous avions de l'événement, tel qu'il devait être. D'abord tel qu'il devait être à nos yeux, emprunt de nos poignées de convictions, puis convaincus de nos poignets. Puis pas à pas tel qu'il pourrait à vos yeux. Du simple clou à la plus petite boîte, du plus petit des pots au plus grand tasseau, nous avons placé passionnément chaque élément, nous avons placé nos passions dans chaque élément.
           Nous sommes des gens de peu et le pensons profondément. C'est ce peu qui nous tient debout, celui-là qui nous donne faim et le même qui se dresse derrière chacun de nos choix. Ce peu à l'origine de chaque naissance matinale, de chaque naissance minérale. A l'origine de chaque naissance organique.
           A l'aube de vous recevoir, je vous dirai qu'en regardant la table élevée, il y avait un goût de trop peu. Que finalement ce que nous avions à offrir ne représenterait – représenter est erroné, il n'y a pas de jeu, de représentation – ne serait pas suffisant à l'attente d'un tel événement. Puis vous êtes venus de partout. Vous avez marché dans chacun de nos peu tracés, avec vous quelques-uns qui en ont esquissé ou dessiné avec nous, parfois indirectement, sans même en être conscient. Juste en répondant présent un temps avant. Simplement.
           Et nous avons vu tout le jour et au delà vos yeux magnifiques. Aux côtés de ceux passés à côtés, nous avons vu chacun des regards qui ont compris, qui nous ont compris. Qui nous ont pris profondément. Vous n'avez pas vu nos peu de pleurs à l'intérieur. C'était votre joie de partager, votre joie de rire et d'être là, entièrement.
           Nous nous connaissons de près, de plus près ou de moins. Vous aurez ce petit quelque chose, ce petit chose à l'intérieur, ce petit sourire de vous reconnaître, sans besoin d'énumérer. Dans le peu de certitudes qui nous habite, celle confortée qu'il y a des gens formidables. Dans le peu d'estime qui nous habite parfois, la sensation que ce formidable se reflète en nous, qu'il n'est pas possible qu'ici rassemblés pour nous, nous ne le soyons nous-mêmes un peu. Ainsi nous serions nous aussi un peu formidable, au moins un peu. Ainsi dans le monde notre simple ou notre peu pèse un peu, prend un peu de corps, de poids.
           Aussi ce soir j'ai deux regrets. Le regret de n'avoir débuté ces lignes par cet autre discours :« Je ne connais pas la moitié d'entre vous à moitié autant que je le voudrais ; et j'aime moins que la moitié d'entre vous à moitié aussi bien que vous le méritez. ». Et le regret de ne pas avoir prononcé ce peu de lignes en votre présence.



Il est vrai,
il est inutile de remercier les gens pour ce qu'ils sont.
Mais qu'il bon de s'en réjouir.




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