vendredi 9 novembre 2012

Des pages qu'on tourne



Tourner la page, ça revient à fermer le livre. Seulement, lorsqu'on lit en soi, on a beau tourner, et retourner dans tous les sens, sauter des passages, le plus sale des chapitres nous appartient en propre. Inéluctabilité inhérente, inscrite.
Tourner la page, ça revient à fermer le livre. Seulement, comme on fait son lit, on se couche, et on a beau se retourner, se lever, se recoucher, le passage d'une ligne à l'autre ne se fait pas comme d'une canne à l'autre. Le ver ne se gobe pas, il est là.

Tourner la page, ça revient à fermer le livre. Celui qu'on ne livre pas. Qu'on ne livre plus. Qu'on ne peut plus livrer. Comme si les lettres se foutaient de ta gueule. Le jonglage, ce n'est pas comme la bicyclette, il n'y a pas de pratique intégrée.

Tourner la page, ça revient à fermer le livre. Cela ne revient pas qu'à passer d'un enchaînement à un autre. Mais passer d'une chaîne emmaillotée à une autre, qu'on suit comme une main courante ou qu'on traîne au pied tant bien qu'une malle.

Tourner la page, ça revient à fermer un livre. Un livre qui raconte beaucoup et peu, se dérobe comme on lui lit son dire ou la taie. Qu'une vie où ne pas s'emmêler les plumes. L'encre ne tâche pas que les feuilles et les doigts. Elle imbibe le reste aussi.

Tourner la page, c'est revenir à un autre livre. C'est intégrer ce qui a été lu, tout en laissant une place dont on ne sait pas encore ni l'ampleur ni l'emprise, pour un nouveau livre. C'est accommoder ce livre d'avec les anciens. C'est accepter de revenir sur soi.

Tourner la page, c'est venir à un autre livre. Seulement, lorsqu'on lit en soi, on a beau tourner, et retourner dans tous les sens, sauter des passages, il faut s'ordonner les mots dans la pogne, et se les resservir dans le poing. Inéluctabilité inhérente, inscrite.

Tourner la page, c'est venir à un autre livre. Sans oublier que ça n'offre pas un nouveau soi. Lui, il reste là, ouvert le long de l'effeuillage à un nouvel effilochage. Tourner la page, c'est venir à une autre marée, et voir en soi ce qu'elle a à dégueuler.
  
  

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