lundi 23 décembre 2013

Du lien



 
Rentrer vite. La sonnerie, le tocsin, le gong, le bond. Rentrer vite. Et partir. Ressortir. Les chaussures crantées avec entre les dents la boue sèche de la dernière fois. L'usure des genoux et le vide dans le jeans qui les laisse paraître. Le paraître. En sortir. La veste et son tabac, le chapeau et sa vis, le collier et son chien, la laisse en nœud en huit à la ceinture. La canne et sa propre boue. La boue du jour, des jours de ces semaines. Celles qui se sont ressemblées alors qu'elles n'auraient pas dû. Parait-il. Aller piétiner la vraie boue, qui colle comme l'autre, mais sèche au moins. S'éparpille en poussière sur le paillasson, et déborde même. Elle déborde mais ne tâche plus.
C'est parti. Très vite l'obscurité descend. La promenade à l'envers. Éviter les pleins phares, le frôlement, le renversement en ligne droite. Finir par les lampadaires, les lumières artificielles, les ombres artificielles. C'est engager. Déjà. Un bon pas, toujours. C'est toujours un bon pas, mais encore désorganisé. Il fait encore froid. Il fait encore boue. Le corps cherche le tempo dans le son humide, presque moite des feuilles empâtées sur le cavalier qui n'est plus rouge. C'est juste là, ça déborde, comme qu'i dit.
Mauvais réflexe, l'appel de l'écran, les yeux sur la surbrillance de l'écran qui indique la température : quatre degrés. D'ici quelques heures, deux. Me dis que je suis en train de tout rater, encore. Me retrouve encore en surbrillance, en sous-brillance. Les yeux se redressent mais ne perçoivent plus les moindres détails, les détails moindres qui font la marche. Je ferme le clapet aux pixels muets. Ne pas passer à côté. Être aux côtés. Ils reviennent. La vue revient sur le monde tel qu'il est. Il fait froid encore. Je me concentre. Le rythme revient, le froid part dans le cata-clop sourd des pas ponctués du bâton. Il n'y a personne, je ne suis personne. Juste une partie du défilement des images.
Des phrases viennent comme des clichés sur le rythme auquel je ne pense plus. Je n'ai plus besoin de penser. Elles seront passées, il ne restera rien d'ici en rentrant. Rien, si peu à retranscrire. A gauche l'eye-liner vert-de-gris pâle du ciel se referme sur la terre. S'en revient la réflexion d'il y a quelques jours. Le couteau et la truelle à la main. A boucher des trous, encore. Au moins une fois par semestre ces dernières années. M'étais dit que ce devait être cela, un peu, boucher des trous. Ceux des autres, de leurs erreurs, les miennes, et mes erreurs, comme je continuais et continuerai. Puis non. La pâte à joint ne fait pas que réparer, combler, embellir. Elle construit, aussi, elle finalise. Elle renforce. C'est cela, le couteau et la truelle. Des outils pour rattraper, et pour avancer aussi.
Le couteau et la truelle, le fer et la truelle. Deux organes qui associés à la tierce matière créent le lien. Ce qui fait tenir. Comme j'avais fait tenir quelques causes et conséquences. Comme si la jeunesse empêcher les vues d'ensemble. Et la taxe de parano habituelle. Tu ne sais pas de quoi tu causes petit. Tu es trop jeune. Mais non, t'imagines des trucs. Ça fait déjà un moment que j'imagine. Mais que l'imagination est bien prosaïque. Et je ne reviendrai pas avec le je l'avais dit. Parce qu'il n'y a pas de triomphe là-dedans. Juste un peu plus de désabus. C'est le privilège de si bien connaître l'abandon. Le mépris. Tout le monde n'a pas le même sensible dans les yeux.
L'accumulation, c'est comme des énergies dans les deux sens, avec deux pôles. La pile négative est pleine. Mais ça ne s'ôte pas comme ça. Suffit pas de lui mettre la tête en bas pour la décharger. Mais elle peut aussi se vider au couteau. S'appliquer. Il y a tant de choses qui s'appliquent bien à faire chier. Y'a matière à. Toujours. Ce qui se monte avec deux organes se démonte avec d'autres. Le lien, il se trouve où l'on applique la matière. Et la matière, c'est ce qui tient. C'est ce qui permet de tenir. Faire le lien, ce n'est pas forcément le plus difficile. Le plus dur, c'est d'avoir la bonne matière.



 

samedi 14 décembre 2013

Des étoiles filantes




Une étoile s'est décrochée, dans le jour est tombée. Il n'a rien souhaité, s'accroche aux nœuds de la voix du silence. Le soleil dans le dos qui pousse comme un vent dans les voiles, en proue de pare-brise un pic-vert-rouge-jaune. Où vas-tu ?

Étuve la nuit dans la passoire du réveil, restent au fond fixes et givrés les carences prêtes à être emportées dans leur sachet congélation cardiaque. Elles ne se fondront pas dans les heures. Aussi froides qu'une étoile crevée au petit matin.

Ensemble elles se filent entre les doigts des yeux, tissées dans la tapisserie mémorielle accrochée à la voûte crânienne, alors qu'on lui préférerait la voûte plantaire. Pouvoir les piétiner plutôt que le contraire. Une tapisserie au mur qui n'arrête pas les courants d'air.

Attendant, il piétine dans le froid en regardant les étoiles filer.



 

jeudi 12 décembre 2013

Le cas Leleu # 10 - épilogue

 

 
          Cette nouvelle n'est pas basée sur un article anonyme publié dans le quotidien La France du Nord, dirigé par Edmond Magnier, dans la rubrique Faits-Divers. Le journaliste n'a pas été dépêché sur une indication d'un médecin de l'Hôpital, fervent admirateur du travail de Guillaume Duchenne, et qui souhaita rester anonyme. Ce médecin ne s'était pas refusé d'adresser le cas à l'asile public d'aliénés de Bailleul, dirigé alors par Pascal Leblond, notamment pour des divergences politiques dans le climat tendu que l'on connaît, et le faible effectif d'encadrement présentement en place, à savoir, deux médecins et un interne pour plus de mille patients.


           Le journaliste sus-évoqué n'a pas non plus retrouvé, quelques années plus tard, dans le sous-sol du Museum d'Histoire Naturelle de Boulogne sur mer et sur indication du Docteur Hamy, un petit carton renfermant des clichés d'époque, un vieux carnet de cuir et quelques effets apparemment personnels étiquetés A. Leleu. Ernest Hamy n'attendit pas l'an 1873 pour exposer le corps naturalisé du sujet, après trois années dans une caisse en bois. Ce corps ne fût pas exhibé dans le département « Curiosités », inauguré suite aux échanges initiés entre les musées de province de pièces d'anthropologie contre des objets de curiosité.
           

          Il n'y a donc ni base tangible, ni trace aucune de cette histoire qui n'a jamais eu lieu entre 1869 et 1873.



 

mercredi 11 décembre 2013

Le cas Leleu # 9







           Je pense pouvoir affirmer sans hésitation qu'avant son internement, le sujet a eu une vie sociale, intégrée à la vie en société. Qu'il y avait même une place, voire un rôle certain. Donc par induction, une éducation et des principes. Peut-être même une famille. Les différents facteurs m'incitent à certifier qu'un ou plusieurs événements sont venus frapper psychiquement et avec force Alembert, qui dans un premier temps résista, continuant à vivre « normalement », jusqu'à ce que les premières manifestations physiques ne viennent déranger son mode de vie coutumier. D'abord de légères céphalées, qui ont empirées. Son corps a malgré-lui cherché d'autres solutions, et le monde qu'il connaissait ne correspondant plus au monde tel qu'il le concevait, il développa au détriment même de l'esprit du sujet, de son propre esprit donc, un autre mode de développement. Je ferai ainsi ce parallèle entre la structure osseuse et la croissance d'un arbre. L'individu, se protégeant de la folie du monde extérieur, s'est épaissi de l'intérieur, nourrissant sa propre folie. J'atteste ainsi de la mise en lumière du premier « homme-arbre », symptomatique d'une inadéquation à la vie moderne de notre XIXème siècle et de ses formidables évolutions.

           Vous pouvez mandater vos photographes au Museum d'Histoire Naturelle, où la dépouille du sujet est présentée au public, dûment naturalisée. Voilà tout pour notre entretien, si vous le permettez, il est l'heure d'effectuer ma ronde auprès des patients.



  

mardi 10 décembre 2013

Le cas Leleu # 8







           Comme on s'y attendait, le sujet s'éteignit avant la fin de sa deuxième semaine d'admission. Mais d'une étrange manière, qui trouble encore le personnel de l'Institut. Sa peau semblait comme aspirée par bien des endroits par son corps. Elle laissait transparaître sa chair, et à bien des endroits, ses os. C'est là que je décidais d'initier une autopsie. Celle-ci révéla deux phénomènes curieux. Le premier était cette compression des organes internes. Pas un rétrécissement non, il semble que les organes du sujet se soient comprimés intérieurement, jusqu'à diminuer. Le chirurgien-légiste, les lui ôtant, les déplia littéralement pour les étaler sur la table. Ensuite, ce dernier nous fit remarquer l'épaisseur inhabituelle des os : il semblerait que la structure osseuse du sujet ait continué de se développer, comprimant l'intérieur de son corps, et étirant progressivement sa peau. J'attribue cette manifestation à l'expression physique de l'extrême repli sur soi du sujet, et à son rejet complet du monde extérieur. J'en tirai mes conclusions.


à chaque réveil la sensation d'avoir été défenestré du sommeil
l'herbe un bruit de papier cristal
bientôt ne pourrai plus

comme une laisse s'étendre
refait à descendre
descendu défait à la montée
deux fois le jour noyé
plus que d'un sommeil
réanimé aux armes salées
asséché à la paix



 

lundi 9 décembre 2013

Le cas Leleu # 7







           Après l'injection, les soigneurs entrèrent avec le matériel, le sujet resta calme, s'allongeant de lui-même sur son lit, ailleurs et docile. Le petit maillet se leva, puis s'abattit sèchement. A notre surprise, le pic ne pénétra que la peau, arrêté par on ne sait quoi. L'os devait être théoriquement fin et aisé à transpercer, à cet endroit. Le sujet hurla. Le soigneur leva à nouveau rapidement le petit maillet puis cogna à nouveau, plus fort, affolé. Le pic s'enfonça à peine plus dans la marque précédente, et malgré la morphine le sujet hurla derechef de douleur. Il releva la tête et plus que circonspect m'interrogea du regard. Les soigneurs interdits me fixaient, puis la blessure qui n'en était une. Face à l'agitation de Leleu, et pour éviter un traumatisme additionnel, nous nous retirâmes, le laissant, le crâne bandé d'une gaze rougissante obstinément. Je jugeais indécent de réitérer l'expérience sur l'autre tempe. Ils sont rares les patients qui conservent en mémoire une telle expérience. Il me confia plus tard que ce n'était pas tant la douleur du coup porté que l'immense résonance dans son crâne, ce bruit atroce au contact. Un autre bruit commençait à courir.



Je n'ai fait que passer dans les paysages
je n'ai fait que traverser comme un paysage dont je ne faisais pas parti
je n'ai fait que passer des paysages sous les paupières closes
que je repasse à présent que je n'ouvre plus les yeux
un fantôme carné dans sa pèlerine de gris élimé éliminé par la pénombre
du regard de l'autre qui se tourne alors que les pas se détournent
et s'appuient comme les ailes blanches blanches sur les épaules du vent
à migrer là où il fait toujours froid vers des cavités sans langues
sans pouvoir plus articuler autre chose que des pas à pas
un peu plus lentement loin de soi comme entre deux clignements
un peu plus loin de soi inscrit sur la terre des paupières



 

dimanche 8 décembre 2013

Le cas Leleu # 6







           Lorsqu'il revint à un état stabilisé, nous décidâmes de ne pas lui laisser d'accès aux livres, mais lui avons laissé à disposition du papier et un morceau de charbon. Comme je m'y attendais, il se saisit, entre deux crises, du morceau pour écrire. Il s'y prit à plusieurs tentatives, mais ne traça jamais plus d'une lettre, une première lettre d'un mot qui restait à chaque fois interdit dans sa main, dans son esprit. Bientôt, il chiffonna chacune des feuilles, gémissant qu'elles apportaient trop de lumière. C'est là que je remarquais que ses cernes, malgré tout le repos apporté, continuaient de s'allonger. Je crus d'abord qu'il s'agissait de la crasse du charbon, mais compris bien vite qu'il s'agissait en réalité de la propre ombre du sujet, de son humeur bileuse qui marquait physiquement ses joues. Je lui prescrit quelques cuillères de confiture de haschisch aux repas pour tenter de le soulager. Mais face aux plaintes à demi-mots répétées du sujet, sur ses yeux qui le brûlaient, son crâne qui le serrait, je décidai d'une trépanation pour le soulager. Je mandais donc les soigneurs.
 

Il y a un mauvais esprit dans le sang qui se transmet qui me meut j'ai sang mauvais qui prend aux jambes jusqu'à la tête sang qui ne se voit mauvais en moi personne pour le voir et le croire je suis moi je crois je le crois encore mais plus seul qui m'isole encore je ne crois plus être le sang mauvais expulse m'expulse l'esprit du corps qui ne peut sortir suis-je ainsi si mauvais homme mes amours d'être parti maintenant je pars de moi-même



 
 

vendredi 6 décembre 2013

Le cas Leleu # 5







 
           Nous avons donc décidé de convoquer un colloque des plus éminents confrères. Le sujet fût placé dans notre amphithéâtre privé, pour observation et partage. L'expérience a tourné court. Sous le savant brouhaha, ce dernier s'est totalement non pas renfermé mais refermé sur lui-même, les bras lui cerclant la tête, masquant comme il put ses organes sensoriels. Les personnes présentes entendirent s'échapper de ses lèvres une sorte de mélopée pratiquement inaudible «  trop de bruit trop de bruit trop de bruit trop de bruit trop trop ». Nous ne réitérâmes point l'expérience. Le sujet resta trois jours ainsi prostré sur lui-même en cellule. Lèvres mues mais muettes. Les confrères conclurent à une sorte d'autisme, d'autres à une débilité, et quelques derniers s'accordèrent sur l'une et l'autre. Je ne fus en fin de compte pas plus avancé, et regrettai même cette initiative. Cette intervention malheureuse ne fit qu'aggraver la situation. Je prescris donc beaucoup de repos, et peu de sollicitations.



Ce n'est rien
deux poings de lumières enfoncés dans les yeux
trois fois rien
la tête emprise entre les cuisses de l'extérieur
et ses deux mains plantées dans les tempes
qui tentent d'arracher la boîte crânienne
presque rien
une graine
une demie
migraine
qui te plante
dans le sol
le troisième dessous
deux fois rien
qui te couche
une petite baise
intérieure






jeudi 5 décembre 2013

Le cas Leleu # 4






           Les soins apportés se résumaient à des repas réguliers, nous attendions d'établir un diagnostique fiable avant de prescrire tout traitement. Je notais cependant que le sujet absorbait la nourriture, mais sa condition physique s’obstinait à décliner, jusqu'à devenir préoccupante. Je notais aussi que ses déplacements, la mesure de ses gestes, se raréfiaient. Se mouvoir suscitait un grimacement. Curieusement, plus les séances se multipliaient, plus nos conversations s'emmêlaient. Le sujet se renfermait visiblement sur lui-même : discours, postures, cela semblait presque se faire malgré lui. Cette incapacité à me transmettre ses sensations physiques et psychiques, de toute évidence, le frustrait. Mais bientôt je dus écourter, puis me contenter de l'observer à travers les barreaux de sa cellule, sa condition physique et mentale ne le permettant plus.


 
      Internement physique, où la conscience de la chose ne provient plus d'abord de la vision de l’œil, mais d'abord du corps. La sensation comme une annonciation non pas de la venue, mais de la vue. L'os donne à sentir puis à voir.
      Internement physique, où la chose devient consciencieuse et lente déflagration, intégrée dans la chair. La chair comme exposition de la programmation anarchique de l'os qui se modèle à l'envie. L'os donne à voir sans être vu.
Ne m'émeut plus
ne me meut plus



 

mercredi 4 décembre 2013

Le cas Leleu # 3






 
           Il était acquis qu'il sache lire et écrire, déduction logique découlant de la possession du carnet. Je me suis penché dessus, mais suis resté interdit devant les pages remplies d'une écriture fine mais tout bonnement illisible. Moi qui espérait trouver des informations nous éclairant sur ce cas, suis resté impuissant. Je persistais cependant mon laborieux déchiffrage. A plusieurs reprises je tentais, dans sa cellule, une mise en confiance, l'entame d'un dialogue. Nos premiers entretiens furent courtois, mais le sujet avait des difficultés à formuler ses différents symptômes, autant qu'il avait de réticence à évoquer son passé. Il était, entre ses crises, parfaitement capable de raisonnement. Il avait même réclamer des livres, tout en refusant les journaux.

corps boucher
crochet boucher
dans la tête le poids
pendu la main l'étau
la poigne du boucher
 du corps boucher
 
  

 

mardi 3 décembre 2013

Le cas Leleu # 2








           Lorsque nous l'avons accueilli, Alembert Leleu bénéficia d'une cellule individuelle. Sur les recommandations de nos confrères, nous ne l'avions affecté à l'un des dortoirs. Le premier jour, il brisa la lampe à gaz de sa cellule. A chaque remplacement de celle-ci, il recommençait. Nous avons donc décidé de ne plus alimenter sa cellule en lumière, et avons rapidement constaté une amélioration de son état, ou plutôt une accalmie, si vous permettez. Cette amélioration n'était qu'un espacement de ses crises, qui persistaient néanmoins. Dans une semi-pénombre, les yeux du sujets acceptaient de s'ouvrir. Il semble qu'Alembert réclamait le silence, alors même qu'il n'y avait pas de bruit. Les céphalées s'accentuaient, leur intensité immobilisait complètement le sujet, recroquevillé sur lui-même, croqué de l'intérieur.

 
on peut avoir penchant pour la perdition
jusqu'à ce qu'elle nous perde
pardonnez-moi, mes amours,
d'avoir du prendre la route



 

lundi 2 décembre 2013

Le cas Leleu # 1



 
          C'est un cas bien étrange que celui d'Alembert Leleu. L’Institut a été alerté par l’Hôtel-Dieu, qui m'a aussitôt mandaté. Nous avons le jour même transféré le sujet en nos locaux, cintré d'une camisole. Non pas qu'il fût dangereux pour autrui, c'était surtout pour sa propre sécurité. A vrai dire, nous n'avons pu observer le sujet que quelques jours, son état étant plus avancé que les symptômes ne le laissaient paraître.
           L'Hôtel-Dieu nous a transmis son dossier médical, qui commença à son admission, et ses effets personnels, quelques loques maigres, une paire de binocles aux verres teintés, un gousset arrêté, une blague à demi pleine, une pipe en porcelaine, de facture visiblement flamande, une canne au pommeau sculpté et sobre et un carnet, qui permit son identification. De traces d'un quelconque passé, d'une adresse, nulle part. Son dossier narre des réactions continues de prostrations et d'asthénie, précédées de crises pendant lesquelles, d'après les descriptions du personnel soignant, le sujet se maintenait la tête, subissant des sortes de convulsions partant du crâne qui secouaient épisodiquement l'ensemble du corps. Ses propos, lorsqu'il y en avait, étaient incohérents. Le sujet était grand, maigre, d'une pilosité légèrement excessive. Sa dentition soignée nous indique qu'il n'appartenait pas à la classe pauvre. Mais rien d'altier dans la tenue qui ne laissait présupposer quelque aisance récente. A vrai dire, il n'y avait a-priori là rien de particulièrement spectaculaire. Nous avons en nos locaux bien des sujets beaucoup plus expressifs que lui. Mais j'y viens.

Je suis Alembert Leleu. Enfin je crois, encore.