jeudi 24 mai 2012

De la séparation


         Je suis désolé, mon vieux, mais on ne peut pas dire que tu es encore très stable, que tu assures ta stature. Tu es encore beau, tu plait encore, ce n'est pas le problème. Sur, tu n'es ni Louis ni Voltaire, ces considérations, tu t'en fous. De toute façon, ce n'est pas la position qui penche ma décision. Puis ce n'est pas ce qu'on te demande. Seulement voilà, je l'ai déjà dit, tu es devenu vieux, tu n'es plus fiable. Tu as été le premier de la famille que je n'ai pas ramassé, que j'ai été cherché, tu portais si bien le skaï. On aurait dit de la vrai vachette, c'était classe. On y voyait déjà les kilomètres, comme sur la peau de tes bras usés, tannés. Regarde maintenant, la plupart du temps, tu me laisses le cul par terre, tu te défausses au moindre pas, au moindre mouvement tu te démontes, faut pas. Tu es encore resté un bon moment, en sécurité dans cette pièce bâtarde, d'arrière-cuisine, de véranda, c'était assez confortable. Tu avais vue sur le jardin, mais tu comprends, j'ai besoin de la place. Je sais bien que des comme toi, on n'en fait plus, mais personne n'en veut plus non plus. Ne m'en veut pas, je ne peux plus. Tu m'as porté, tu m'as soutenu, à présent, tes pieds ne te supportent même plus. J'ai été honnête avec toi, alors ne dis pas, dis, que je suis ingrat. Ça aurait se passer plus mal, je ne t'ai pas éventré, abandonné sur le bord de la route, même pas démonté. Ce n'est pas grand chose, mais en attendant que tu te retournes, je t'ai aménagé un coin, dans le jardin, maintenant qu'il fait beau. Tu ne crains rien, avec ton skaï, il est encore nickel. Puis, on pourra encore causer ensemble un peu, mon vieux, un temps. Non, ne t'inquiète pas du regard des autres, des voisins. Je m'en cogne moi. Tu sais, il y a bien plus con qu'un type qui discute avec son fauteuil dans le jardin. Dis, t'as pas du feu ?
 

2 commentaires:

  1. Y’en a qui causent au fauteuil
    Y’en a qui jactent à la courtine
    Y’en a qui s’prennent les pieds dans l’ tapis
    Y’en a qui clopent clopin-clopant, visse le bada sur la calebasse
    et mettent les adjas sans moufter…

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  2. Ne sont-ce les meilleurs ?
    Ceux qui savent se retirer,
    ceux dont le cul prend du recul,
    ceux qui finalement sont bien plus libres
    que ceux qui ne savent tout ça et en sont pénibles.

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