lundi 31 décembre 2012

Consigné à disparaître





Tout ce qu'il y a eu, y aura, y a là. La même trace que le sélène de la lune. Qui laisse même moins que le souvenir. Avec un peu de temps, avec un peu de chance. Si l'on veut. Je le vois bien, c'est un peu comme mon père. Je le vois encore me tendre, presque gêné, ces petits classeurs où s'accumulent ces feuillets noirs et jaunes. Noirs dedans et jaunes autour. Plein de sensible, plein de son sensible. Que j'ai ouvert. Que je n'ai pas lu. Que mon fils ne lira pas. Pas plus qu'il ne me lira. Qu'il ne lira mes propres feuillets. Dactylographiés, classés, sériés, reliés. Classés. Hors. Pourtant je le ferai. Je lui tendrai aussi ces liasses, tout d'espoir et d'embarras. Comme je le fais déjà, alignés eux aussi sur des murs. Sur d'autres murs, virtuels, inconsistants, apparaissant dans le fond de quelques boites de quelques autres. En me demandant. En oubliant, comme eux, comme lui.
J'alignerai encore un peu quelques feuillets reliés, quelques liasses. Qui ne trouveront aucune bibliothèque. Car je ne tiendrai jamais la longueur. Car je ne tiens jamais la longueur. Pérennité. Parce que je veux éviter cette confrontation d'avec l'autre, d'avec moi-même, en soi. Cette confrontation esquissée dans les numéros, qui reste sans réponses. Cette confrontation esquivée, d'entendre silencieusement que l'intérieur ne trouve pas l'écho à se trouver dehors. Quelques feuillets qui trouveront eux aussi un mur, une boîte. Un temps. Car je ne tiens jamais la longueur. Je regarde en arrière. Je m'y arraisonne. Et je ne peux que constater.

On peut bien se rendre compte, qu'il y a une permanence de l'inéquation. C'en est des rencontres. On eut pu croire, à la magie des rencontres. J'aurai voulu croire. Elles se font, et à se faire, se défont. Fondent peu à peu. Mais ce n'est que ça, des instants. Comme de l'écriture. C'est pour cela que l'on accepte. Cette étrange grammaire. Et sa loi fluctuante du jeu. C'est pour cela que l'on accepte, qu'on joue tendu tantôt, à tâtons. A la recherche de la détente. De cette suspension. Ce n'est pas tant la rencontre en elle-même, qui est magique, ce sont ces instants inégaux, illégaux, subtilisés à l'égrenage de l'horloge. Un temps, un temps.
Il semble qu'il s'agisse d'une connexion impermanente de sens, mais imperméable de raison. Dont l'identification diffère selon l'acteur. Il reste un point commun, doucement irrationnel. La sensation. Une sorte de chimie interne transitant par le corps pour achever sa transfiguration dans l'esprit. C'est cela, une mutation impalpable des cellules dont le retour se fait sur la vision que l'on a de l'environnement. Sa préhension et son appréhension. Une sorte de curiosité instantanée qui se marque après, avec toute la difficulté de son expression.
Le magique tiendrait d'une impression. L'impression de soi dans un oubli, où la coque n'est plus sur la mer, mais partie intégrante de la mer. Où jusqu'à la cale il n'y a plus d'éléments cloisonnés, nommables, mais tout a un seul nom qui ne se prononce pas. Qui n'a pas besoin d'être prononcé. Chacun des contours n'en est plus un, solidaire d'un espace où tous les intérieurs se touchent sans extérieur. Un espace où l'être n'est plus ni dedans ni dehors, mais avec. Fugacement. Où l'ensemble fragile est presque solide, tangible dans son éphémère. Et c'est sa fin qui le réalise.
Après avoir tant battu la campagne, à présent je bas les pages. Elle me le rendent... Je me demande souvent si, si j'arrêtais d'écrire, serait-ce comme si je rendais les armes ? Rendais l'âme ? L'âme ainsi aurait besoin d'armes, alors... Est-ce pour cela qu'elle nécessite de se battre ? La possession est donc une bataille. La dépossession serait une victoire. Comme si c'était une guerre... Mais il y a bien une certaine violence, une violence en soi à vouloir nommer ce qui fuit, nommer ce magique insaisissable. La conquête impossible de ce qui est passé. La conquête égoïste de l'ailleurs, de l'autre qui parle en soi. Et son don dans le triomphe de soi. Avec ou sans bibliothèque. On n'a pas besoin de bibliothèque, pour disparaître.
Oui, ça commence souvent de la même façon. Les rencontres, globalement, dans tous les sens et ses acceptions. Et parfois se produit un quelque chose de magie, un temps. Mais ça, ça ne fonctionne que d'une sorte, ça ne procède que d'une manière. Quand on tient la distance. Quand on se tient à distance. Mais pas trop, et pas sûr...
  
  
   

2 commentaires:

  1. Le vent peut secouer
    la tête chargée d’images,
    présence après la présence,
    à perpétuité.

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  2. à pérennité
    absence d'absences
    le vent ne peut déjouer
    la tête chargée d'images.

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